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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 16. VINGT-QUATRE PRÉLUDES À LA VIE, 1989-90, CRAYONNÉS FERROVIAIRES, 1991-92

8 janvier 2023

Prise par Anne-Marie en 1989 lors des vacances d'été que nous avions passées chez mon père et sa femme à Riunoguès (Pyrénées-Orientales), voici une photo qui explique d'elle-même, à mes yeux, pourquoi l'idée d'une musique concrète en direct, ou bien la divulgation systématique de « photos de tournages sonores » ne conviennent pas à ma façon d'envisager le genre : c'est parce que la vision des causes des sons rend, dans ce domaine, tout ce qu'on entend anecdotique et réducteur. Quel intérêt cela-a-t-il de savoir que telle série de chocs qui figure, parmi bien d'autres sons, dans un de mes Préludes composés entre 1989 et 1991, est issue de ce qu'on me voit ici faire, à savoir taper avec une paire d'écrans solaires sur une canette vide de Schweppes Indian Tonic posée sur une citerne à gaz – celle-ci donnant à ces chocs une résonance de cave ? Ou de voir que le micro stéréophonique est posé horizontalement devant l'ouverture de la canette, et relié par un fil au Walkman Pro de Sony visible sur la droite ? Ou encore de mettre en évidence que, pour une fois, je vérifiais simultanément au casque le son que je produisais ?

Profitez donc de cette image : c'est presque la seule, et je n'ai pas cherché à en avoir beaucoup du même type. En même temps cette photo reste, pour Anne-Marie et moi, une petite madeleine de Proust, à usage personnel. Elle réveille les souvenirs de journées très agréables, dans le cadre isolé en même temps que confortable qu'Hélène et René Chion s'étaient créés, en se faisant construire vers 1971 une maison sans étage et tout en longueur, avec une annexe pour les invités, où on pouvait se séparer pendant la journée, vivre chacun sa vie à son rythme, travailler si l'on voulait (combien de pages de mes premiers livres ou de mes articles ai-je écrites dans le calme de Riunoguès !) et se retrouver à la table du repas ou devant la télévision, à discuter films, politique, etc. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 15 : DIX ÉTUDES DE MUSIQUE CONCRÈTE, 1988, VARIATIONS, 1990, SONATE, 1990

25 décembre 2022

L'image ci-dessus, tirée d'un entretien filmé avec Rodrigo Maia Sacic, date de 2011, alors que je travaillais sur une musique concrète intitulée Deuxième symphonie, mais elle me sert à illustrer une technique trouvée 24 ans plus tôt, et que j'avais baptisée « crayonné ». C'est cette technique qui m'a servi en 1987 à renouveler mon usage du magnétophone à bande, à une époque où de plus en plus de compositeurs·trices commençaient à se tourner vers le numérique. Même si mes compositions à partir de 2006 sont finalisées en fichier numérique (dans les premières années, avec l'aide précieuse et la compagnie de Geoffroy Montel), j'ai continué, pour leur réalisation, à utiliser la bande magnétique, et notamment le procédé de crayonné.

Explication : sur un magnétophone à « bande libre » (« libre » par opposition aux appareils à cassette), vous avez trois têtes devant lesquelles passe successivement la bande qui défile depuis la bobine de gauche : la tête d'effacement, celle d'enregistrement, et celle de lecture que sur la photo je désigne du doigt. Alors que dans les appareils bon marché de l'époque, têtes d'enregistrement et de lecture sont confondues en une, leur séparation sur les appareils plus perfectionnés (comme le magnétophone de studio qu'on voit ci-dessus) permet d'écouter ce qui est inscrit sur la bande en « retour», au moment de l'enregistrement lui-même, avec un décalage très bref. Sur le modèle ci-dessus, entre la tête d'effacement et celle d'enregistrement, se trouve une petite barre métallique mobile permettant d'écarter la bande du contact avec les têtes. Il me suffit alors, pendant que je suis en enregistrement, d'éloigner plus ou moins la bande de la tête d'effacement, soit par cette barre si elle existe, soit avec un objet non abrasif tel qu'un coton-tige, tout en maintenant, avec le pouce de l'autre main, la dite bande en contact avec la tête d'enregistrement, cela pour enregistrer « plus ou moins » une nouvelle chaîne sonore par-dessus le son déjà présent sur la bande, lequel est « plus ou moins » effacé. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 14. LA RONDE, 1982-83, SAMBAS POUR UN JOUR DE PLUIE, 1985

4 décembre 2022

Une bonne critique, cela ne se boude pas. Celle qu'on lit ci-dessus, la meilleure à laquelle j'ai eu droit dans les années 80, est parue dans Le Monde sous la signature de Jacques Lonchampt, et elle rendait compte de la création en concert de La Ronde, suite en dix mouvements, à la Maison de Radio-France, le 28 février 1983. Jacques Lonchampt – qui avait salué avec plus de bienveillance que la plupart de ses confrères les réalisations produites dans le domaine de l'électroacoustique - connaissait mon travail depuis Le Prisonnier du son. Ma pièce réalisée au GRM, il l'a prise comme elle était, sans trouver à redire à son caractère agréable. Ce ne fut pas le cas d'Antoine Dauvé, qui dans Libération, devait écrire plus tard (voir Entre deux images n°35) qu'une œuvre comme celle-ci, qui « respecte constamment l'auditeur (...)révèle une faiblesse ». Méfions-nous de ce qui plaît, nous dit ce critique, auquel mon œuvre a suggéré ce mot de « faiblesse ».

Or, justement, c'est un des motifs de la pièce. Il s'agit en effet de la ronde des heures et des souvenirs dans une œuvre en dix mouvements qui s'ouvre et se termine par des pensées moroses, en obéissant, vers la fin, à cet affaissement de la vitalité que peut amener le soir.  « Tu m'échappes, la vie m'échappe, rien ne reste un peu longtemps suffisamment », dit au début la voix de Lanie Goodman (Pensées du matin, premier mouvement), et elle le redit, plus noyée et plus estompée encore dans le dernier, Pensées du soir. Cela ne sera pas la dernière fois où je pourrai constater que les mots qu'on fait résonner dans une œuvre musicale, beaucoup d'auditeurs font comme s'ils ne les entendaient pas. ...

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