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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 11. LA TENTATION DE SAINT ANTOINE, 1981-84 (1/3)

23 octobre 2022

Nous sommes le 4 juin 1984, au studio Olivier Messiaen de la Maison de Radio France, juste après la création de la Tentation de saint Antoine, quand le public se disperse, et avec moi posent mes deux principaux interprètes, Michèle Bokanowski (qui y tient deux rôles, celui d'Hélène et celui de la Narratrice) et Pierre Schaeffer (Antoine). Deux interprètes dont le montage fait s'entrecroiser les voix mais qui, lors des tournages sonores pour cette œuvre réalisés durant l'automne 1981, ne s'étaient pas rencontrés et avaient joué leur rôle séparément, dans des lieux et à des moments distincts. Je reviendrai sur ce concert de création, mais d'abord, il me faut relater l'origine du projet.

Dans le chapitre précédent, j'ai raconté qu'il était lié à un déménagement qui, au printemps 1981, me fit louer pour la première fois un logement parisien qui n'était pas minuscule. C'est en effet en m'installant dans un deux-pièces/cuisine du 4e arrondissement, rue d'Ormesson, que j'ai eu envie de composer une grande œuvre tout en prenant mon temps pour la faire. L'espace élargi que j'avais pour vivre me suggérait du temps. Ce souvenir d'il y a 41 ans en a fait revenir un autre, encore plus ancien. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRETES, 10. DIKTAT, 1979

9 octobre 2022

« Ich bin müde », « je suis fatiguée ». Il est curieux que mon oreille d'adolescent (un adolescent qui quelques années plus tôt avait, pour obéir à un désir de sa mère, pris l'allemand comme première langue au lycée) ait tout de suite retenu, compris et isolé de tout le reste – de l'énorme reste du dernier opéra de Wagner, Parsifal, cette phrase courte et triviale chantée par Kundry au premier acte, alors que j'en écoutais la retransmission à la radio chez mon père. Cela doit s'être situé en 1963, l'année où j'habitais chez celui-ci et sa femme Hélène. Il est encore plus curieux que je me souvienne toujours de ce moment de quelques secondes où devant le poste de radio, je l'ai repérée et entendue, et où elle s'est gravée en moi comme une trouvaille. « Ich bin müde ». La fatigue est un état que je crois avoir éprouvé par éclairs ou par périodes depuis toujours, intimement, tout en jouissant d'une bonne santé, mais pourquoi donc ? Cette phrase est en tout cas une des clés du sentiment qui m'a inspiré mon quatrième mélodrame concret, composé et créé en 1979, Diktat. Il y est question en effet, pendant près d'une heure trente, d'un vieux clochard harassé et teigneux, habité d'une immense lassitude, qui renâcle au début de l'œuvre à sortir des brumes du sommeil, et qui à la fin en revanche s'endort, même s'il dort, c'est le moins qu'on puisse dire, très mal. Entretemps il rêvasse, s'attendrit à la pensée d'une femme, s'emballe comme s'il prophétisait devant une foule ou s'excitait à un souvenir de gloire, puis retombe.

J'ai inventé et joué ce clochard-prophète fou, auquel je m'identifiais, en m'inspirant d'un personnage hirsute sans domicile fixe que l'on pouvait croiser, quand j'étais petit, dans la rue Faidherbe à Nogent-sur-Oise, où habitaient nos parents nourriciers (au n°92) ainsi que notre mère (au n°46, oui, pile la moitié). Mon frère Jacques se souvient qu'il faisait de petits travaux pour un propriétaire terrien qu'on appelait le Père Notaire.  Toujours aviné, il me semble qu'il parlait fréquemment tout seul, ronchonnait, râlait, invectivait. Par dérision et sans méchanceté (autant que je me souvienne), sa saleté et son éthylisme lui avaient valu chez les Nogentais le surnom de Bébé-Rose. Un jour d'hiver Bébé-Rose n'était plus là, et ma mère nous raconta qu'on l'avait trouvé dans la rue mort de froid (à cette époque, les hivers dans l'Oise pouvaient être rigoureux). ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 9. TU, 1977-1996

25 septembre 2022

Sur cette photo prise le 5 février 1977 par Eric Bourbotte dans le Théâtre Récamier à Paris, François Bayle, alors directeur du GRM, me montre l'implantation des haut-parleurs de son « acousmonium », ainsi que leur correspondance avec la console de spatialisation sur laquelle je dois les commander, tandis que Pierre Henry, à sa gauche, a les yeux baissés sur cette console où il officiera après moi. Ce sera la création de mon mélodrame concret Tu (de sa première version de 40 minutes, du moins, mais cela, je ne le sais pas encore), avant qu'il ne redonne ses Fragments pour Artaud, créés en 1970.

J'avais jusqu'à ce jour rencontré Henry une seule fois, sauf erreur, pour un entretien radiophonique (malheureusement il refusera, dans son obsession de rester l'unique et le seul, que ses propos soient publiés aux côtés des réponses d'autres compositeurs·trices interrogé·e·s par moi dans le volume des Cahiers Recherche/Musique La Musique du futur a-t-elle un avenir). Je ne pouvais pas me douter qu'en 1978, Brigitte Massin me proposerait d'écrire une monographie sur ce créateur dont j'admirais les œuvres, surtout celles des années 50-60, qui ont été largement à l'origine de ma vocation : publié par Fayard en 1980, le livre a été remis à jour en 2003. Les ventes ont été décevantes dans l'un et l'autre cas ; mais j'ai fait mon travail du mieux que j'ai pu. ...

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