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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 4. Le roman d'un Requiem (3/3)

10 juillet 2022

Je n'ai jamais chanté – cela m'aurait plu - dans les chœurs de ce Requiem de Verdi, qui m'avait tant impressionné au théâtre romain d'Orange en 1971 (ci-dessus quelques mesures du Libera me final), sous la direction de Carlo-Maria Giulini. Mais en 1973, lorsque je travaillais sur mon propre Requiem, je continuais à faire de la musique en groupe, comme exécutant : que ce soit dans le répertoire de la musique ancienne (je jouais de la flûte à bec et, pour les grandes occasions, du cromorne, dans l'ensemble Villanelle créé par mon ami Pierre Ginzburg, que j'avais connu à l'Université de Nanterre) ou dans celui du chant choral. En particulier au sein de l'ensemble vocal de Stéphane Caillat, et aussi d'un mini-groupe plus restreint et semi-professionnel qu'il venait de fonder, spécialisé dans la reprise et la création de partitions contemporaines « Musique Nouvelle ». Grâce à Stéphane Caillat, récemment disparu et qui était un grand découvreur, nous avons donc chanté non seulement du Bach, du Palestrina et du Mozart, comme c'était le cas partout ailleurs, mais aussi des œuvres de Dallapicola, Messiaen, Maurice Ohana, Guy Reibel, Paul Mefano, Ivo Malec, Iannis Xenakis, et même Christian Vander. Stéphane avait en effet « prêté » quelques-uns de ses choristes, dont moi, au groupe Magma pour la création à Bordeaux, devant un public aussi nombreux que turbulent, de Mekanïk Destruktïw Kommandöh. C'était le 25 novembre 1972. Tous revêtus, les hommes comme les femmes, de tee-shirts noirs à manche longue marqués sur la poitrine de la célèbre griffe rouge (je regrette bien d'avoir perdu ce souvenir lors d'un déménagement), nous y chantions, en nous dandinant en mesure, un texte scandé en langue « kobaïenne » sur des rythmes obstinés à la Carl Orff.

Tout cela a très bien complété les études d'écriture que j'avais suivies au Conservatoire, en me donnant une expérience variée, non seulement de la dynamique des groupes musicaux et de la pratique concrète de l'interprétation, mais aussi des illusions de la notation. Lorsque par exemple Iannis Xenakis écrit en tiers de ton, en créant pour cela un symbole spécifique, un passage chanté de sa musique de scène pour l'Orestie d'Eschyle, et que Stéphane, lors de l'enregistrement de cette œuvre pour Erato dans le courant de l'automne 1969, le prévient très franchement que nous n'avons pas la technique pour y arriver, Xenakis lui répond – j'étais là, je m'en souviens - que nous n'avons qu'à chanter des demi-tons un peu faux. Le disque qui en est sorti, et qui n'a pas été réédité en CD à ma connaissance, peut s'acheter sur le site Discogs, et vous y entendrez nos faux tiers-de-ton. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 3. Le roman d'un Requiem (2/3)

3 juillet 2022

Que lisez-vous ci-dessus, dans cette page tirée d'une vieille édition (1783) des Lettres écrites de la montagne, de Jean-Jacques Rousseau ? Des s minuscules qui sont très proches visuellement des f, comme cela a longtemps existé dans l'imprimerie en France. C'est sur un livre de messe imprimé dans le même style que le 24 novembre 1972 – je peux dater précisément d'après un agenda que j'ai conservé - , Caroline Bruas, fille aînée d'un de nos nombreux cousins germains, qui avait une douzaine d'années à l'époque, lut devant mon micro le passage de la première épître de Paul aux Corinthiens où se trouve cette phrase sur la Résurrection : « O Mort, où est donc ta victoire ? ». L'enregistrement eut lieu à Sèvres, après un dîner chez ses parents Michel et Jopick (très joli nom familier de Marie-Josèphe), que je voyais souvent à cette époque.

J'étais en pleine période de réalisation et de composition de mon Requiem, et j'avais eu l'idée de le traiter selon le déroulement d'une messe catholique moderne. Outre les morceaux que les messes classiques de Requiem – Mozart, Fauré, Verdi, etc. - mettent en musique, le Kyrie, le Dies Irae, le Libera Me, entre autres, il fallait donc qu'y figurassent la lecture d'une épître d'un des apôtres, et celle d'un passage de l'Évangile, toutes deux concernant la mort et la résurrection promise par la foi chrétienne. Ces lectures à l'église étaient souvent faites par des fidèles ; la voix d'un enfant était donc une idée réaliste. J'avais gardé le livre de messe sur papier bible en caractères modernes qui m'avait été offert, comme à mon frère aîné avant moi, lors de ma communion solennelle à l'âge de douze ans, mais j'avais oublié de l'amener. Michel et Jopick, tous deux élevés par leurs parents respectifs dans la religion catholique, eurent vite fait de trouver dans leur bibliothèque un missel imprimé en caractères anciens, et c'est celui-là qui fut mis dans les mains de Caroline, laquelle, n'étant pas pratiquante, découvrait à la fois le texte et son aspect. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 2. Le roman d'un Requiem (1/3)

26 juin 2022

En 1985, l'écrivain Alain Melchior-Bonnet, (qui avait apprécié les nombreux articles que j'avais écrits à sa demande pour un Larousse de la Musique en deux volumes), me proposa de rédiger une biographie de Jean-Sébastien Bach destinée au mensuel Historia. En me rappelant que les règles pour un dictionnaire et un périodique de vulgarisation ne sont pas les mêmes, il me donna ce truc: « cher Michel, dans Historia, quand on fait un article biographique, on ne le rédige pas en partant de la naissance et en allant jusqu'à la mort ; cela serait ennuyeux. Commencez par un événement important de la vie de Bach, puis revenez en arrière et remontez jusqu'à cet événement, après quoi vous le dépassez et poursuivez jusqu'à la fin. » Appliquant ce conseil, je pris l'épisode fameux de la rencontre, en 1747, du compositeur avec le roi Frédéric II de Prusse, lorsque celui-ci lui proposa, pour improviser, le thème qui servira de base à l'Offrande Musicale. Mon article fut rendu et publié sous cette forme, et j'étais content d'avoir écrit au moins une fois pour la revue que j'avais vu ma mère lire pendant des années, durant mon enfance, lorsqu'elle se reposait le week-end (s'il y a un au-delà où l'on peut se reposer, comme le rêve la touchante Sonia à la fin d'Oncle Vania, de Tchékhov, je m'imagine facilement ma mère en train de relire tranquillement au Paradis, dans sa chaise longue, toute sa collection d'Historia ainsi que ces auteurs anglais qu'elle aimait, Charles Morgan, Rosamond Lehmann, Rudyard Kipling... A une certaine distance de là - car même au Paradis ils restent fâchés - il y a, lui tournant le dos, mon père. Je le vois, lui, fumer tranquillement sa cigarette en regardant le monde à ses pieds, ou reclasser sa collection de romans de la Série Noire).

Je pense forcément au repos, car Requiem, titre de la pièce par laquelle je vais commencer, en suivant le sage conseil de Melchior-Bonnnet et en n'attaquant pas par mes débuts, est l'accusatif du mot voulant dire « repos » en latin, Requies ; ce sens était constamment présent à mon esprit lorsque j'ai réalisé l'œuvre. Je l'ai composée pour me reposer après de l'avoir faite, et après avoir mis en jeu, non certes ma vie, mais en tout cas le cours que celle-ci allait prendre. ...

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