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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 13. LA TENTATION DE SAINT ANTOINE, 1981-84 (3/3)

20 novembre 2022

Avant de revenir sur la création de la Tentation en juin 1984, je vais faire un « flash-forward », comme on dit au cinéma, de plus de 20 ans. Quelques mois après la mort de Schaeffer, le 1er avril 1996, eut lieu, en l'auditorium Messiaen de la Maison de Radio-France, un concert à sa mémoire. C'est ce soir-là qu'a été prise la photo ci-dessus. Un concert pour lequel l'INA-GRM, se souvenant que cette Tentation réalisée dans ses studios – et qu'il avait éditée en CD – était aussi une œuvre de concert, l'a donc reprise pour la première fois depuis 1984. Enfin pas vraiment reprise, car il ne s'agissait encore que d'un extrait de dix minutes, tiré du tableau intitulé La Terredont j'ai parlé dans le chapitre précédent, et qui met en valeur la voix de Pierre Schaeffer dans ses deux monologues successifs, « J'ai vu naître la vie », et « Peut-être que je suis mort ». Il faudra attendre 14 ans de plus pour que le GRM reprogramme l'œuvre en entier, mais cette fois ce sera à ma demande insistante, ce genre d'insistance qui m'a fait considérer par le GRM comme un casse-pied (le label d' « ami encombrant au caractère difficile », imprimé en toutes lettres, m'est décerné officiellement dans le livre sur le GRM écrit par une de ses membres, Evelyne Gayou, et publié en 2007 par Fayard). Comme j'ai souvent soutenu le Groupe et contribué de l'extérieur à ses travaux (notamment quand ses membres étaient incapables ou insoucieux d'écrire un texte historique lisible, de répondre à une proposition de la Revue Musicale, ou de bâtir une programmation radiophonique), le mot « encombrant » ne m'a pas plu.

Mais cette insistance, qui m'a valu ce genre de remarques, je regrette aujourd'hui de n'en avoir pas usé plus souvent. C'est l'occasion de citer l'Évangile : « Frappez et l'on vous ouvrira », Matthieu, 7, 7. Une formule que j'avais retenue enfant, peut-être parce que dans le livre de catéchisme où je l'avais rencontrée, elle était illustrée d'un dessin naïf montrant un homme qui frappe du poing à une porte. Il s'agit, dans ces paroles du Christ, d'inviter chacun à ne pas céder sur son désir (Robert Cahen m'a souvent rappelé cette formule de notre amie commune Christiane, qui elle était athée : « un désir qui n'est pas exprimé n'existe pas »). Cela ne veut pas dire que tout désir est licite ni que l'autre est tenu de le satisfaire, mais qu'il doit se risquer dans une demande. Ainsi, dans un certain sens, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même de certains rêves non concrétisés. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 12. LA TENTATION DE SAINT ANTOINE, 1981-84 (2/3)

6 novembre 2022

Dans une seconde, le colonel Lawrence (joué par Peter O'Toole dans le film de David Lean Lawrence d'Arabie, 1962, déjà évoqué au chapitre précédent), va souffler l'allumette enflammée dont il se sert pour démontrer son endurance – la scène se situe au Caire, dans un bureau militaire anglais – et instantanément, par la magie du raccord cut, nous allons être transportés dans un immense paysage désertique sur lequel le soleil se lève. Le renouvellement total et subit de l'image, sans inertie, que permet le cinéma depuis ses origines - et après lui, pour le son, la musique concrète - voilà ce que cet effet magnifie. Ce n'est pas diminuer le génie de Kubrick que de suggérer, comme je le fais dans Stanley Kubrick, L'humain ni plus ni moins, 2005, que cette allumette soufflée suivie d'un paysage vide a pu lui suggérer l'enchaînement sublime, dans 2001 : A Space Odyssey, 1968, d'un os jeté par un singe dans un lointain passé, avec l'image d'un véhicule spatial dans ce qui était encore, à la sortie du film, le futur - l'an 2001. Un an 2001 que Kubrick n'aura pas vu.

Les deux raccords ont d'ailleurs en commun un autre effet, dont l'image de cinéma a cette fois-ci le privilège : un basculement instantané d'échelle (pour le son, au cinéma comme en musique concrète, les questions d'échelle sont beaucoup plus confuses). ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 11. LA TENTATION DE SAINT ANTOINE, 1981-84 (1/3)

23 octobre 2022

Nous sommes le 4 juin 1984, au studio Olivier Messiaen de la Maison de Radio France, juste après la création de la Tentation de saint Antoine, quand le public se disperse, et avec moi posent mes deux principaux interprètes, Michèle Bokanowski (qui y tient deux rôles, celui d'Hélène et celui de la Narratrice) et Pierre Schaeffer (Antoine). Deux interprètes dont le montage fait s'entrecroiser les voix mais qui, lors des tournages sonores pour cette œuvre réalisés durant l'automne 1981, ne s'étaient pas rencontrés et avaient joué leur rôle séparément, dans des lieux et à des moments distincts. Je reviendrai sur ce concert de création, mais d'abord, il me faut relater l'origine du projet.

Dans le chapitre précédent, j'ai raconté qu'il était lié à un déménagement qui, au printemps 1981, me fit louer pour la première fois un logement parisien qui n'était pas minuscule. C'est en effet en m'installant dans un deux-pièces/cuisine du 4e arrondissement, rue d'Ormesson, que j'ai eu envie de composer une grande œuvre tout en prenant mon temps pour la faire. L'espace élargi que j'avais pour vivre me suggérait du temps. Ce souvenir d'il y a 41 ans en a fait revenir un autre, encore plus ancien. ...

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