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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 20. PERPETUUM KYRIE, 1997, MISSA OBSCURA, 1992-2000, DIX-SEPT MINUTES, 2000
5 février 2023
Ci-dessus, vous pouvez voir un brouillon que j'ai retrouvé – le brouillon, pas la version au propre tout de même ! – de cette formalité que le règlement de la SACEM nous imposait de remplir il y quelques années, nous les compositeurs de musique concrète, pour être admis à déposer une œuvre de musique électroacoustique « sur support » : il fallait accompagner une copie de l'œuvre sur bande (plus tard sur CD, DAT, ou fichier numérique) du soi-disant relevé graphique de sa première minute, afin de montrer qu'on savait lire les notes. Il s'agit ici de mon Perpetuum Kyrie de 1997. « Une minute, pas plus, vous voyez ce n'est pas beaucoup demander », semblait nous dire la SACEM. Je ne me suis jamais prêté à ça sans éprouver un sentiment de mortification et d'infantilisation. Heureusement, ce n'est plus exigé.
Car bien entendu, le fameux relevé graphique ne notait rien du tout. Les pauvres clés de sol que vous voyez en tête de portée font à peine semblant de donner une caution musicale à cette pseudo-partition (en aidant à situer vaguement la première hauteur que l'on peut discerner, à 18'' du début, comme un si naturel), mais cela ne trompe personne, et même avec les précisions verbales que j'y ajoute (« souffle train de nuit », « rythme de train qu'on croise », « montée souffle », etc.), il est impossible d'en déduire ce qu'on doit entendre. Même l'acousmoniste à sa console ne peut rien en faire (sur les acousmographies et sur l'édition papier des œuvres de musique concrète, j'ai exprimé ma position dans le blog Entre deux images n°98, du 25 juin 2020, auquel je me permets de vous renvoyer ; je déplore que l'on perpétue le mythe et le faux-semblant de la « score » pour ce qui n'en relève pas et n'en a pas besoin). ...
HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 19. L'ISLE SONANTE, 1998-2021
29 janvier 2023
Pour illustrer ce chapitre où j'arrive à la composition de L'Isle sonante, je cherchais une image plus inattendue. Mais non : celle-ci, prise au Polaroïd dans le studio 116 A du GRM de l'INA encore équipé de magnétophones (ceux-ci allaient bientôt être débranchés et remisés dans un sous-sol), convient tout à fait. On m'y voit penché, en 1998, sur des appareils qui ne sont pas seulement mes instruments de travail mais aussi, pour cette œuvre, en grande partie les sources mêmes des sons. Ce qu'on n'y voit pas - car j'ai omis de le photographier - ce sont les dispositifs de micros que j'avais eu l'idée de placer en contact avec la bande en train de défiler, avec les plateaux de métal qui la supportaient, avec les pièces mobiles – tendeurs, cabestan – régularisant son allure, cela de façon à créer, tout en les captant, des rythmes qui me portaient et me donnaient une autre respiration, rythmes de frottements ou d'à-coups qu'il était à tout moment possible d'influencer. J'ai fait ainsi, sereinement et tout seul, de longs tournages dans lesquels la bande de 6,25mm de large lisait des tenues électroniques plus ou moins étirées et ralenties (issues de mes séances de travail, étalées sur 25 ans, avec divers synthétiseurs), en même temps qu'était enregistrée la susurration de son déroulement, plus ou moins contrarié – le tout mixé sur le moment même. Un jour, lors d'une de ces séances, une pièce de métal du micro Neumann frottant contre l'un des plateaux s'est mise à chanter une note, aussi enthousiasmante que l'appel d'un bateau qu'on n'attendait plus ; c'est ce moment qui me donna un grand bonheur, d'avoir eu lieu et d'avoir été enregistré dans le même temps, et qui me suggéra L'Isle sonante. On l'entend dans la séquence de L'Arrivée aux Îles, au cours de laquelle Axelle, l'héroïne lectrice, lit et relit un passage du roman maritime Mardi, d'Herman Melville, évoquant une arrivée au petit matin en vue d'îles paradisiaques :
« Et quand les rayons presque horizontaux du soleil, traversant l’air comme un prisme, touchent la terre verdoyante, (les Îles) palpitent tout entières d’étincelles de rosée. » ...
HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 18. LA MESSE DE TERRE, 1991-96
22 janvier 2023
Pour illustrer l'article attentif, médité et profond qu'il consacrait en 2016 à ma Messe de terre, article qu'a publié la revue Circuit, le compositeur Pierre-Yves Macé avait eu soin de mettre « au propre » un graphique formel que j'avais dessiné à main levée deux ans plus tôt : tracé au marqueur sur un tableau blanc, il me servait à expliquer l'architecture de cette pièce de 2h30, dans le documentaire que Jérôme Bloch réalisa en guise de bonus pour l'édition DVD de la Messe, en 2014 (ce DVD, édité par Motus, a obtenu un Coup de cœur de l'Académie Charles Cros, dont je suis très fier). Un documentaire où j'avais choisi de ne parler que de la forme de l'œuvre, pas de son contenu ni de ses intentions, ni des techniques employées... Jérôme, à cette occasion, prit l'initiative d'enrichir mes explications avec toutes sortes d'idées visuelles qui les ont rendus beaucoup plus claires. J'envisage de mettre son film sur Youtube, mais après l'avoir fait sous-titrer en anglais.
Quand je regarde donc mon tableau redessiné par Pierre-Yves, il me fait penser au « skyline » d'une ville moderne, avec ses gratte-ciels. La durée globale de l'ensemble, avec la succession de 14 épisodes aérée par un bref entracte, est en effet figurée en abscisse, horizontalement (cela faisait longtemps que je n'avais plus utilisé ce mot d'abscisse), tandis que la durée propre à chaque mouvement ou épisode, ainsi que son caractère continu ou discontinu (subdivisé), sont indiqués verticalement, en ordonnée. Ainsi, l'on voit tout de suite que les deux buildings les plus hauts correspondent au Gloria et au Credo de part et d'autre de l'entracte, et sur tout l'ensemble, le jeu de symétrie et d'équilibre entre les deux parties. De symboliser le temps à la fois verticalement et horizontalement, comme sur un agenda semainier, donne l'illusion plaisante que le temps n'existe pas seulement sur une ligne, mais aussi comme dimension de construction. On voit également synoptiquement que les mouvements correspondant à l'ordinaire d'une messe (dont le titre est en gras) sont séparés par des interludes dans la première partie, et finissent par s'enchaîner dans la seconde. Cette forme se rencontre dans plusieurs de mes œuvres longues : on la trouvait déjà dans La Tentation de saint Antoine (voir les chapitres 11 ...