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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 12. LA TENTATION DE SAINT ANTOINE, 1981-84 (2/3)

6 novembre 2022

Dans une seconde, le colonel Lawrence (joué par Peter O'Toole dans le film de David Lean Lawrence d'Arabie, 1962, déjà évoqué au chapitre précédent), va souffler l'allumette enflammée dont il se sert pour démontrer son endurance – la scène se situe au Caire, dans un bureau militaire anglais – et instantanément, par la magie du raccord cut, nous allons être transportés dans un immense paysage désertique sur lequel le soleil se lève. Le renouvellement total et subit de l'image, sans inertie, que permet le cinéma depuis ses origines - et après lui, pour le son, la musique concrète - voilà ce que cet effet magnifie. Ce n'est pas diminuer le génie de Kubrick que de suggérer, comme je le fais dans Stanley Kubrick, L'humain ni plus ni moins, 2005, que cette allumette soufflée suivie d'un paysage vide a pu lui suggérer l'enchaînement sublime, dans 2001 : A Space Odyssey, 1968, d'un os jeté par un singe dans un lointain passé, avec l'image d'un véhicule spatial dans ce qui était encore, à la sortie du film, le futur - l'an 2001. Un an 2001 que Kubrick n'aura pas vu.

Les deux raccords ont d'ailleurs en commun un autre effet, dont l'image de cinéma a cette fois-ci le privilège : un basculement instantané d'échelle (pour le son, au cinéma comme en musique concrète, les questions d'échelle sont beaucoup plus confuses). ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 11. LA TENTATION DE SAINT ANTOINE, 1981-84 (1/3)

23 octobre 2022

Nous sommes le 4 juin 1984, au studio Olivier Messiaen de la Maison de Radio France, juste après la création de la Tentation de saint Antoine, quand le public se disperse, et avec moi posent mes deux principaux interprètes, Michèle Bokanowski (qui y tient deux rôles, celui d'Hélène et celui de la Narratrice) et Pierre Schaeffer (Antoine). Deux interprètes dont le montage fait s'entrecroiser les voix mais qui, lors des tournages sonores pour cette œuvre réalisés durant l'automne 1981, ne s'étaient pas rencontrés et avaient joué leur rôle séparément, dans des lieux et à des moments distincts. Je reviendrai sur ce concert de création, mais d'abord, il me faut relater l'origine du projet.

Dans le chapitre précédent, j'ai raconté qu'il était lié à un déménagement qui, au printemps 1981, me fit louer pour la première fois un logement parisien qui n'était pas minuscule. C'est en effet en m'installant dans un deux-pièces/cuisine du 4e arrondissement, rue d'Ormesson, que j'ai eu envie de composer une grande œuvre tout en prenant mon temps pour la faire. L'espace élargi que j'avais pour vivre me suggérait du temps. Ce souvenir d'il y a 41 ans en a fait revenir un autre, encore plus ancien. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRETES, 10. DIKTAT, 1979

9 octobre 2022

« Ich bin müde », « je suis fatiguée ». Il est curieux que mon oreille d'adolescent (un adolescent qui quelques années plus tôt avait, pour obéir à un désir de sa mère, pris l'allemand comme première langue au lycée) ait tout de suite retenu, compris et isolé de tout le reste – de l'énorme reste du dernier opéra de Wagner, Parsifal, cette phrase courte et triviale chantée par Kundry au premier acte, alors que j'en écoutais la retransmission à la radio chez mon père. Cela doit s'être situé en 1963, l'année où j'habitais chez celui-ci et sa femme Hélène. Il est encore plus curieux que je me souvienne toujours de ce moment de quelques secondes où devant le poste de radio, je l'ai repérée et entendue, et où elle s'est gravée en moi comme une trouvaille. « Ich bin müde ». La fatigue est un état que je crois avoir éprouvé par éclairs ou par périodes depuis toujours, intimement, tout en jouissant d'une bonne santé, mais pourquoi donc ? Cette phrase est en tout cas une des clés du sentiment qui m'a inspiré mon quatrième mélodrame concret, composé et créé en 1979, Diktat. Il y est question en effet, pendant près d'une heure trente, d'un vieux clochard harassé et teigneux, habité d'une immense lassitude, qui renâcle au début de l'œuvre à sortir des brumes du sommeil, et qui à la fin en revanche s'endort, même s'il dort, c'est le moins qu'on puisse dire, très mal. Entretemps il rêvasse, s'attendrit à la pensée d'une femme, s'emballe comme s'il prophétisait devant une foule ou s'excitait à un souvenir de gloire, puis retombe.

J'ai inventé et joué ce clochard-prophète fou, auquel je m'identifiais, en m'inspirant d'un personnage hirsute sans domicile fixe que l'on pouvait croiser, quand j'étais petit, dans la rue Faidherbe à Nogent-sur-Oise, où habitaient nos parents nourriciers (au n°92) ainsi que notre mère (au n°46, oui, pile la moitié). Mon frère Jacques se souvient qu'il faisait de petits travaux pour un propriétaire terrien qu'on appelait le Père Notaire.  Toujours aviné, il me semble qu'il parlait fréquemment tout seul, ronchonnait, râlait, invectivait. Par dérision et sans méchanceté (autant que je me souvienne), sa saleté et son éthylisme lui avaient valu chez les Nogentais le surnom de Bébé-Rose. Un jour d'hiver Bébé-Rose n'était plus là, et ma mère nous raconta qu'on l'avait trouvé dans la rue mort de froid (à cette époque, les hivers dans l'Oise pouvaient être rigoureux). ...

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