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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 7. Les musiques de l'année 1971

14 août 2022

Avec son début plein de silences et de formules brèves qui restent une patte en l'air, ce premier mouvement du seizième quatuor de Beethoven continue de me poser, sous forme de partition, ses questions muettes. Il était la source officielle de mon Étude d'après Beethoven de 1971, brève pièce composée dans le cadre de mon stage de deux ans comme élève au Groupe de Recherches Musicales, et qui a été gravée en 2014 dans l'album Musiques concrètes 1970-71 édité chez Brocoli (après avoir figuré dans une compilation, L'opéra concret, qu'Anne-Marie et moi avions sortie en 1997). En effet, au cours de ce stage, Guy Reibel et Pierre Schaeffer avaient demandé aux étudiants admis en seconde année – parmi lesquels Nina Coissac, Roger Cochini, Robert Cahen, Jean-Michel Jarre et moi-même - de réaliser une courte musique électroacoustique, en s'inspirant pour la forme ou le discours d'un modèle emprunté à la musique classique. Les critères de transposition n'étaient pas précisés. L'un d'entre nous, je ne sais plus si c'est Jarre ou Cahen, avait pris Des pas dans la neige, un des préludes pour piano de Debussy, et pour ma part j'avais choisi ce début du quatuor en Fa majeur, justement à cause de son côté énigmatique et de ses ruptures menant à une curieuse et peu aimable succession de noires liées deux par deux (à partir de la mesure 10), où alternent des intervalles descendants de septième et de seconde. Ces mesures me sont toujours apparues comme un étrange caprice de compositeur.

J'ajoute que ce quatuor n°16 est une musique que j'ai d'abord connue par la lecture, dans l'édition de poche publiée chez Heugel, avant d'en entendre la moindre exécution, et qui représente en cela le symétrique de la musique que je faisais à partir d'elle : la partition de Beethoven est tout à fait écrite et lisible sous cette forme imprimée, elle existe déjà entièrement par les signes « muets » de notation, par opposition à cette musique fixée que je voulais faire et dont toute notation écrite est aussi impossible qu'inutile. Mais l'étude que j'avais réalisée n'avait pas un accent spécialement beethovénien. Si elle commence bien sur le mode interrogatif (on entend mon amie Mireille Mayereau chuchoter ses instructions à une chorale d'enfant), marqué par des silences et des ruptures, elle adopte au bout de deux minutes un ton franchement burlesque, avec des boucles très glapissantes et énergiques réalisées à partir de ma propre voix accélérée (elles ont fait dire à Pierre Henry, qui s'est trouvé écouter cette pièce à mes côtés lors d'une conférence donnée par Guy Reibel à la Sacem : « à l'époque, tu avais une drôle de vitalité ! »). En revanche, lors de l'écoute des travaux de stages, Schaeffer et Reibel l'avaient prise pour une pochade, pour un pied de nez, ce qui n'était pas exactement mon intention. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRETES, 6. Le ciel tremble (1970) et autres premiers essais

3 août 2022

Dans un ancien agenda, à la date du 25 janvier 1969, je lis: « deuxième séance de musique concrète avec les enfants et Mireille ». C'est donc en janvier de cette année que j'ai réalisé ma toute première pièce de « musique électroacoustique », avec de modestes moyens personnels. Comme je l'ai raconté dans le Dictionnaire Subjectif de l'Alphabet du 28 novembre 2021, à la lettre M, c'est à l'instigation divinatoire, on peut le dire, de mon amie Mireille Mayereau (1931-2016) que j'ai franchi ce pas, que je n'aurais jamais imaginé franchir sans son encouragement, vers une musique fixée mais non écrite, composée mais non instrumentale, la musique concrète - moi qui, ayant appris l'harmonie et le contrepoint, et ayant même étudié le système sériel (grâce notamment aux écrits de René Leibowitz, ainsi qu'aux séances d'analyse de notre professeur d'harmonie Claude Bass, à Versailles) ne me décidais pas à écrire des partitions, sauf de brefs morceaux, parmi lesquels des chansons. Pourquoi ? Parce que noircir du papier à musique, je n'en sais toujours pas la raison, m'ennuie, et peut-être aussi parce que la partition, dont j'avais l'expérience comme exécutant de musiques contemporaines, m'apparaissait inadéquate pour la musique que je voulais faire. Une musique que, je le précise et n'en ai jamais démordu, je voulais faire sous forme d'oeuvres, et non d'événements, d'installations, de décors sonores ou d'improvisations.

Au fait, c'est en rouvrant mon agenda 1969 pour ce blog que je me suis aperçu que dans mes premiers pas de compositeur, je parlais déjà de « musique concrète », alors qu'on disait beaucoup plus souvent « musique expérimentale » ou « électroacoustique ». ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 5. On n'arrête pas le regret (1975)

24 juillet 2022

Sur la photo ci-dessus, prise par Robert Cahen fin 1973 ou début 1974, on me voit avec Pascale Ebel dans la régie du studio 52 du GRM, au Centre Bourdan qui abritait le Service de la Recherche de l'ORTF. Je suis à la console de mixage, et les magnétophones – ces gros magnétophones professionnels avec lesquels j'ai tellement aimé faire de la musique - sont derrière moi et à ma gauche. Je ne sais plus à quoi je travaillais quand Robert a pris cette image: à l’œuvre dont je vais parler aujourd'hui et où l'on entend la voix de Pascale, On n'arrête pas le regret, ou à une des nombreuses émission de radio que je réalisais à l'époque, puisque la production et la création de programmes radio pour France-Culture et France-Musique était, à côté des publications du Groupe, une de mes tâches au GRM où, je le rappelle, j'avais un contrat à mi-temps. La photo été prise en longue focale depuis le studio lui-même, à travers la vitre de séparation, ce qui explique les reflets.

(Zut alors ! J'avais prévu de revenir en arrière, à mes premières œuvres de 1969-70, mais je ne m'y décide pas ; ce sera pour plus tard ; je préfère raconter aujourd'hui ce qui a suivi le Requiem). ...

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