News

HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 2. Le roman d'un Requiem (1/3)

26 juin 2022

En 1985, l'écrivain Alain Melchior-Bonnet, (qui avait apprécié les nombreux articles que j'avais écrits à sa demande pour un Larousse de la Musique en deux volumes), me proposa de rédiger une biographie de Jean-Sébastien Bach destinée au mensuel Historia. En me rappelant que les règles pour un dictionnaire et un périodique de vulgarisation ne sont pas les mêmes, il me donna ce truc: « cher Michel, dans Historia, quand on fait un article biographique, on ne le rédige pas en partant de la naissance et en allant jusqu'à la mort ; cela serait ennuyeux. Commencez par un événement important de la vie de Bach, puis revenez en arrière et remontez jusqu'à cet événement, après quoi vous le dépassez et poursuivez jusqu'à la fin. » Appliquant ce conseil, je pris l'épisode fameux de la rencontre, en 1747, du compositeur avec le roi Frédéric II de Prusse, lorsque celui-ci lui proposa, pour improviser, le thème qui servira de base à l'Offrande Musicale. Mon article fut rendu et publié sous cette forme, et j'étais content d'avoir écrit au moins une fois pour la revue que j'avais vu ma mère lire pendant des années, durant mon enfance, lorsqu'elle se reposait le week-end (s'il y a un au-delà où l'on peut se reposer, comme le rêve la touchante Sonia à la fin d'Oncle Vania, de Tchékhov, je m'imagine facilement ma mère en train de relire tranquillement au Paradis, dans sa chaise longue, toute sa collection d'Historia ainsi que ces auteurs anglais qu'elle aimait, Charles Morgan, Rosamond Lehmann, Rudyard Kipling... A une certaine distance de là - car même au Paradis ils restent fâchés - il y a, lui tournant le dos, mon père. Je le vois, lui, fumer tranquillement sa cigarette en regardant le monde à ses pieds, ou reclasser sa collection de romans de la Série Noire).

Je pense forcément au repos, car Requiem, titre de la pièce par laquelle je vais commencer, en suivant le sage conseil de Melchior-Bonnnet et en n'attaquant pas par mes débuts, est l'accusatif du mot voulant dire « repos » en latin, Requies ; ce sens était constamment présent à mon esprit lorsque j'ai réalisé l'œuvre. Je l'ai composée pour me reposer après de l'avoir faite, et après avoir mis en jeu, non certes ma vie, mais en tout cas le cours que celle-ci allait prendre. ...

lire la suite

HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 1. Prologue

12 juin 2022

Ci-dessus vous pouvez voir, filmés par Régis Lacaze sur un de mes magnétophones, quelques centimètres de ce qui, plusieurs décennies durant, a été pour moi un repère fidèle et rassurant, l'équivalent d'un beau fleuve traversant et irriguant une ville construite autour de lui : le ruban d'une bande magnétique son ¼ de pouce, passant devant les trois têtes (effacement, enregistrement, lecture) pour se rembobiner à droite. Cette bande magnétique qui a été jusqu'en 2000 le support de travail et de finition de toutes mes musiques concrètes, avant que je ne combine celle-ci avec les supports dits numériques. Le tronçon que l'on voit sur cette image est-il vierge, contient-il un signal, qui, lu à vitesse idoine, est celui d'une musique ou d'un élément de mixage, ou bien a-t-il été effacé pour resservir, puisqu'à la différence de la pellicule film il est réutilisable ? On ne peut le voir ni à l'oeil nu, ni au microscope ni aux rayons X. Tout est possible. En tout cas, c'est avec ce support bienheureusement opaque (je m'expliquerai à ce propos) qu'il m'est arrivé encore récemment de travailler, même si je finis désormais mes pièces sur ordinateur.

Il y a deux mois j'ai donné à des amis - qui me rendront de leurs côtés le plus précieux des services, celui de veiller plus tard à faire jouer mes œuvres dans le respect de celles-ci et de mes exigences d'artiste - la plus grande partie de mes boîtes de bandes magnétiques, qui contenaient des éléments de travail ou des copies de mes œuvres de musique concrète, mais après les avoir effacées. Solides et durables, le plus souvent de qualité professionnelle (elles faisaient partie des moyens que mettaient à ma disposition les différents studios où j'ai travaillé, ou bien avaient été récupérées par moi ou Jacques Darnis dans les poubelles de la Maison de la Radio, où l'on ne craignait pas de jeter une "galette" en parfait état qui n'avait servi qu'une fois !, ou enfin elles m'avaient été données par des ami(e)s passé(e)s au numérique), elles pourront servir encore à de nouveaux adeptes du magnétophone, d'autant qu'à ma connaissance on n'en fabrique plus. Parfois, ces éléments comportaient tellement de collures qu'ils n'étaient pas réutilisables, alors je les ai jetés, même ceux du Requiem. Je ne voulais pas qu'on fasse plus tard avec mes « archives » ce qu'on a fait avec celles de Bernard Parmegiani : utiliser sa popularité posthume pour éditer des fonds de tiroir, et des petits bouts de séquences sonores sans intérêt. ...

lire la suite

MON DICTIONNAIRE SUBJECTIF DE L'ALPHABET : Z

15 mai 2022

Croze / Bauby / Ronsard / Amalric / Schnabel / Arenas / Kamiński / Spielberg / Harwood / Yates / Finney / Courtenay / Gaffiot / Jean / Bordenave / Schaeffer / Thompson / Forster / Horvilleur / Fairbanks / Niblo / Arthuys / Salvador / McTeigue / Sartre / Fléchelle / Salinger / Willerval / Shyamalan / Webb / Deschanel

Cette charmante vision en caméra subjective, illuminée par le beau visage de Marie-Josée Croze (avec un z), est tirée d'un film où celui qui en a la primeur vit, en réalité, une expérience effroyable : victime d'un certain type d'AVC, il s'est retrouvé, en sortant de son coma, immobilisé dans un corps qui ne lui répondait plus, devenu un objet dont tout le monde s'approche et s'éloigne. C'est ce qu'on appelle le « locked in syndrome », ou syndrome d'enfermement. Heureusement, on a cessé de considérer les victimes de ce sort comme des légumes, et on a mis au point des codes d'échange avec elles. C'est arrivé entre autres à un homme qui s'appelait Jean-Dominique Bauby, dont c'est l'histoire : le battement de sa paupière gauche est ce qui lui restait, ou presque, pour parler et dicter. Ce que l'orthophoniste jouée ici par Croze lui présente donc, et qui va lui permettre de communiquer et même d'écrire un livre, est un alphabet qu'elle a imaginé et où les lettres sont présentées dans leur ordre décroissant de fréquence en français : E S A R I N T U L O M D P C F B V H G J Q Z Y X K W. Il suffira à Bauby de cligner de sa paupière lorsqu'on lui lit la bonne lettre, et il faut donc à la personne qui l'assiste, patiemment, reprendre à chaque fois par le début, à haute voix, la liste : E, S, A, R, etc... en comptant que le clignement ne tardera pas trop. Vous remarquez tout de suite que le Z a cessé d'être « la lettre finale », car elle n'est pas la plus rare. N'est-elle pas présente dans des substantifs courants comme « nez », "gaz" ou « riz », et ne figure-t-elle pas dans beaucoup de formes verbales de la deuxième personne du pluriel ? « Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain », disait Ronsard à une certaine Hélène. Cela fait déjà trois z. ...

lire la suite