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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 3. Le roman d'un Requiem (2/3)

3 juillet 2022

Que lisez-vous ci-dessus, dans cette page tirée d'une vieille édition (1783) des Lettres écrites de la montagne, de Jean-Jacques Rousseau ? Des s minuscules qui sont très proches visuellement des f, comme cela a longtemps existé dans l'imprimerie en France. C'est sur un livre de messe imprimé dans le même style que le 24 novembre 1972 – je peux dater précisément d'après un agenda que j'ai conservé - , Caroline Bruas, fille aînée d'un de nos nombreux cousins germains, qui avait une douzaine d'années à l'époque, lut devant mon micro le passage de la première épître de Paul aux Corinthiens où se trouve cette phrase sur la Résurrection : « O Mort, où est donc ta victoire ? ». L'enregistrement eut lieu à Sèvres, après un dîner chez ses parents Michel et Jopick (très joli nom familier de Marie-Josèphe), que je voyais souvent à cette époque.

J'étais en pleine période de réalisation et de composition de mon Requiem, et j'avais eu l'idée de le traiter selon le déroulement d'une messe catholique moderne. Outre les morceaux que les messes classiques de Requiem – Mozart, Fauré, Verdi, etc. - mettent en musique, le Kyrie, le Dies Irae, le Libera Me, entre autres, il fallait donc qu'y figurassent la lecture d'une épître d'un des apôtres, et celle d'un passage de l'Évangile, toutes deux concernant la mort et la résurrection promise par la foi chrétienne. Ces lectures à l'église étaient souvent faites par des fidèles ; la voix d'un enfant était donc une idée réaliste. J'avais gardé le livre de messe sur papier bible en caractères modernes qui m'avait été offert, comme à mon frère aîné avant moi, lors de ma communion solennelle à l'âge de douze ans, mais j'avais oublié de l'amener. Michel et Jopick, tous deux élevés par leurs parents respectifs dans la religion catholique, eurent vite fait de trouver dans leur bibliothèque un missel imprimé en caractères anciens, et c'est celui-là qui fut mis dans les mains de Caroline, laquelle, n'étant pas pratiquante, découvrait à la fois le texte et son aspect. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 2. Le roman d'un Requiem (1/3)

26 juin 2022

En 1985, l'écrivain Alain Melchior-Bonnet, (qui avait apprécié les nombreux articles que j'avais écrits à sa demande pour un Larousse de la Musique en deux volumes), me proposa de rédiger une biographie de Jean-Sébastien Bach destinée au mensuel Historia. En me rappelant que les règles pour un dictionnaire et un périodique de vulgarisation ne sont pas les mêmes, il me donna ce truc: « cher Michel, dans Historia, quand on fait un article biographique, on ne le rédige pas en partant de la naissance et en allant jusqu'à la mort ; cela serait ennuyeux. Commencez par un événement important de la vie de Bach, puis revenez en arrière et remontez jusqu'à cet événement, après quoi vous le dépassez et poursuivez jusqu'à la fin. » Appliquant ce conseil, je pris l'épisode fameux de la rencontre, en 1747, du compositeur avec le roi Frédéric II de Prusse, lorsque celui-ci lui proposa, pour improviser, le thème qui servira de base à l'Offrande Musicale. Mon article fut rendu et publié sous cette forme, et j'étais content d'avoir écrit au moins une fois pour la revue que j'avais vu ma mère lire pendant des années, durant mon enfance, lorsqu'elle se reposait le week-end (s'il y a un au-delà où l'on peut se reposer, comme le rêve la touchante Sonia à la fin d'Oncle Vania, de Tchékhov, je m'imagine facilement ma mère en train de relire tranquillement au Paradis, dans sa chaise longue, toute sa collection d'Historia ainsi que ces auteurs anglais qu'elle aimait, Charles Morgan, Rosamond Lehmann, Rudyard Kipling... A une certaine distance de là - car même au Paradis ils restent fâchés - il y a, lui tournant le dos, mon père. Je le vois, lui, fumer tranquillement sa cigarette en regardant le monde à ses pieds, ou reclasser sa collection de romans de la Série Noire).

Je pense forcément au repos, car Requiem, titre de la pièce par laquelle je vais commencer, en suivant le sage conseil de Melchior-Bonnnet et en n'attaquant pas par mes débuts, est l'accusatif du mot voulant dire « repos » en latin, Requies ; ce sens était constamment présent à mon esprit lorsque j'ai réalisé l'œuvre. Je l'ai composée pour me reposer après de l'avoir faite, et après avoir mis en jeu, non certes ma vie, mais en tout cas le cours que celle-ci allait prendre. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 1. Prologue

12 juin 2022

Ci-dessus vous pouvez voir, filmés par Régis Lacaze sur un de mes magnétophones, quelques centimètres de ce qui, plusieurs décennies durant, a été pour moi un repère fidèle et rassurant, l'équivalent d'un beau fleuve traversant et irriguant une ville construite autour de lui : le ruban d'une bande magnétique son ¼ de pouce, passant devant les trois têtes (effacement, enregistrement, lecture) pour se rembobiner à droite. Cette bande magnétique qui a été jusqu'en 2000 le support de travail et de finition de toutes mes musiques concrètes, avant que je ne combine celle-ci avec les supports dits numériques. Le tronçon que l'on voit sur cette image est-il vierge, contient-il un signal, qui, lu à vitesse idoine, est celui d'une musique ou d'un élément de mixage, ou bien a-t-il été effacé pour resservir, puisqu'à la différence de la pellicule film il est réutilisable ? On ne peut le voir ni à l'oeil nu, ni au microscope ni aux rayons X. Tout est possible. En tout cas, c'est avec ce support bienheureusement opaque (je m'expliquerai à ce propos) qu'il m'est arrivé encore récemment de travailler, même si je finis désormais mes pièces sur ordinateur.

Il y a deux mois j'ai donné à des amis - qui me rendront de leurs côtés le plus précieux des services, celui de veiller plus tard à faire jouer mes œuvres dans le respect de celles-ci et de mes exigences d'artiste - la plus grande partie de mes boîtes de bandes magnétiques, qui contenaient des éléments de travail ou des copies de mes œuvres de musique concrète, mais après les avoir effacées. Solides et durables, le plus souvent de qualité professionnelle (elles faisaient partie des moyens que mettaient à ma disposition les différents studios où j'ai travaillé, ou bien avaient été récupérées par moi ou Jacques Darnis dans les poubelles de la Maison de la Radio, où l'on ne craignait pas de jeter une "galette" en parfait état qui n'avait servi qu'une fois !, ou enfin elles m'avaient été données par des ami(e)s passé(e)s au numérique), elles pourront servir encore à de nouveaux adeptes du magnétophone, d'autant qu'à ma connaissance on n'en fabrique plus. Parfois, ces éléments comportaient tellement de collures qu'ils n'étaient pas réutilisables, alors je les ai jetés, même ceux du Requiem. Je ne voulais pas qu'on fasse plus tard avec mes « archives » ce qu'on a fait avec celles de Bernard Parmegiani : utiliser sa popularité posthume pour éditer des fonds de tiroir, et des petits bouts de séquences sonores sans intérêt. ...

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