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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 15 : DIX ÉTUDES DE MUSIQUE CONCRÈTE, 1988, VARIATIONS, 1990, SONATE, 1990

25 décembre 2022

L'image ci-dessus, tirée d'un entretien filmé avec Rodrigo Maia Sacic, date de 2011, alors que je travaillais sur une musique concrète intitulée Deuxième symphonie, mais elle me sert à illustrer une technique trouvée 24 ans plus tôt, et que j'avais baptisée « crayonné ». C'est cette technique qui m'a servi en 1987 à renouveler mon usage du magnétophone à bande, à une époque où de plus en plus de compositeurs·trices commençaient à se tourner vers le numérique. Même si mes compositions à partir de 2006 sont finalisées en fichier numérique (dans les premières années, avec l'aide précieuse et la compagnie de Geoffroy Montel), j'ai continué, pour leur réalisation, à utiliser la bande magnétique, et notamment le procédé de crayonné.

Explication : sur un magnétophone à « bande libre » (« libre » par opposition aux appareils à cassette), vous avez trois têtes devant lesquelles passe successivement la bande qui défile depuis la bobine de gauche : la tête d'effacement, celle d'enregistrement, et celle de lecture que sur la photo je désigne du doigt. Alors que dans les appareils bon marché de l'époque, têtes d'enregistrement et de lecture sont confondues en une, leur séparation sur les appareils plus perfectionnés (comme le magnétophone de studio qu'on voit ci-dessus) permet d'écouter ce qui est inscrit sur la bande en « retour», au moment de l'enregistrement lui-même, avec un décalage très bref. Sur le modèle ci-dessus, entre la tête d'effacement et celle d'enregistrement, se trouve une petite barre métallique mobile permettant d'écarter la bande du contact avec les têtes. Il me suffit alors, pendant que je suis en enregistrement, d'éloigner plus ou moins la bande de la tête d'effacement, soit par cette barre si elle existe, soit avec un objet non abrasif tel qu'un coton-tige, tout en maintenant, avec le pouce de l'autre main, la dite bande en contact avec la tête d'enregistrement, cela pour enregistrer « plus ou moins » une nouvelle chaîne sonore par-dessus le son déjà présent sur la bande, lequel est « plus ou moins » effacé. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 14. LA RONDE, 1982-83, SAMBAS POUR UN JOUR DE PLUIE, 1985

4 décembre 2022

Une bonne critique, cela ne se boude pas. Celle qu'on lit ci-dessus, la meilleure à laquelle j'ai eu droit dans les années 80, est parue dans Le Monde sous la signature de Jacques Lonchampt, et elle rendait compte de la création en concert de La Ronde, suite en dix mouvements, à la Maison de Radio-France, le 28 février 1983. Jacques Lonchampt – qui avait salué avec plus de bienveillance que la plupart de ses confrères les réalisations produites dans le domaine de l'électroacoustique - connaissait mon travail depuis Le Prisonnier du son. Ma pièce réalisée au GRM, il l'a prise comme elle était, sans trouver à redire à son caractère agréable. Ce ne fut pas le cas d'Antoine Dauvé, qui dans Libération, devait écrire plus tard (voir Entre deux images n°35) qu'une œuvre comme celle-ci, qui « respecte constamment l'auditeur (...)révèle une faiblesse ». Méfions-nous de ce qui plaît, nous dit ce critique, auquel mon œuvre a suggéré ce mot de « faiblesse ».

Or, justement, c'est un des motifs de la pièce. Il s'agit en effet de la ronde des heures et des souvenirs dans une œuvre en dix mouvements qui s'ouvre et se termine par des pensées moroses, en obéissant, vers la fin, à cet affaissement de la vitalité que peut amener le soir.  « Tu m'échappes, la vie m'échappe, rien ne reste un peu longtemps suffisamment », dit au début la voix de Lanie Goodman (Pensées du matin, premier mouvement), et elle le redit, plus noyée et plus estompée encore dans le dernier, Pensées du soir. Cela ne sera pas la dernière fois où je pourrai constater que les mots qu'on fait résonner dans une œuvre musicale, beaucoup d'auditeurs font comme s'ils ne les entendaient pas. ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 13. LA TENTATION DE SAINT ANTOINE, 1981-84 (3/3)

20 novembre 2022

Avant de revenir sur la création de la Tentation en juin 1984, je vais faire un « flash-forward », comme on dit au cinéma, de plus de 20 ans. Quelques mois après la mort de Schaeffer, le 1er avril 1996, eut lieu, en l'auditorium Messiaen de la Maison de Radio-France, un concert à sa mémoire. C'est ce soir-là qu'a été prise la photo ci-dessus. Un concert pour lequel l'INA-GRM, se souvenant que cette Tentation réalisée dans ses studios – et qu'il avait éditée en CD – était aussi une œuvre de concert, l'a donc reprise pour la première fois depuis 1984. Enfin pas vraiment reprise, car il ne s'agissait encore que d'un extrait de dix minutes, tiré du tableau intitulé La Terredont j'ai parlé dans le chapitre précédent, et qui met en valeur la voix de Pierre Schaeffer dans ses deux monologues successifs, « J'ai vu naître la vie », et « Peut-être que je suis mort ». Il faudra attendre 14 ans de plus pour que le GRM reprogramme l'œuvre en entier, mais cette fois ce sera à ma demande insistante, ce genre d'insistance qui m'a fait considérer par le GRM comme un casse-pied (le label d' « ami encombrant au caractère difficile », imprimé en toutes lettres, m'est décerné officiellement dans le livre sur le GRM écrit par une de ses membres, Evelyne Gayou, et publié en 2007 par Fayard). Comme j'ai souvent soutenu le Groupe et contribué de l'extérieur à ses travaux (notamment quand ses membres étaient incapables ou insoucieux d'écrire un texte historique lisible, de répondre à une proposition de la Revue Musicale, ou de bâtir une programmation radiophonique), le mot « encombrant » ne m'a pas plu.

Mais cette insistance, qui m'a valu ce genre de remarques, je regrette aujourd'hui de n'en avoir pas usé plus souvent. C'est l'occasion de citer l'Évangile : « Frappez et l'on vous ouvrira », Matthieu, 7, 7. Une formule que j'avais retenue enfant, peut-être parce que dans le livre de catéchisme où je l'avais rencontrée, elle était illustrée d'un dessin naïf montrant un homme qui frappe du poing à une porte. Il s'agit, dans ces paroles du Christ, d'inviter chacun à ne pas céder sur son désir (Robert Cahen m'a souvent rappelé cette formule de notre amie commune Christiane, qui elle était athée : « un désir qui n'est pas exprimé n'existe pas »). Cela ne veut pas dire que tout désir est licite ni que l'autre est tenu de le satisfaire, mais qu'il doit se risquer dans une demande. Ainsi, dans un certain sens, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même de certains rêves non concrétisés. ...

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