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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 21. LE PAPILLON QUI TOUSSE, 1978-2006, LA VIE EN PROSE, UNE SYMPHONIE CONCRÈTE, 2006-2010

12 février 2023

25 juin 2006 : grâce au journal méticuleux que je tenais à l'époque et que j'avais commencé 5 ans plus tôt, pour recoudre jour après jour le tissu du temps qui, au sortir de trois mois d'hospitalisation vécus comme s'ils avaient duré toute une année, s'était trouvé très étiré et lacéré, je peux dater précisément cette photo, prise chez nous rue Barbette. C'est le soir, et avant de dîner, une joyeuse chorale constituée de gauche à droite de Corinne, Christelle, Franck, Geoffroy et Pierre-Yves se prépare, pendant qu'Anne-Marie sert l'apéritif, à donner en audition privée, accompagnée par le compositeur au piano, la création d'une de mes pièces les plus longues à terminer, mais qui ne relève pas de la musique concrète ; il s'agit d'une chanson intitulée Le Papillon qui tousse. J'en avais depuis longtemps écrit la musique et trouvé le refrain, mais je n'arrivais pas à terminer les paroles. Elle joue donc le rôle d'intruse dans la série d'oeuvres que j'évoque ici.

Des chansons, j'en ai composé quelques autres, d'un caractère généralement mélancolique et rétro, et presque toutes en mode mineur : Madame Musique je présume, La Caravane, Coney Island Rag (paroles et musiques), Quasimodo-Tango ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 20. PERPETUUM KYRIE, 1997, MISSA OBSCURA, 1992-2000, DIX-SEPT MINUTES, 2000

5 février 2023

Ci-dessus, vous pouvez voir un brouillon que j'ai retrouvé – le brouillon, pas la version au propre tout de même ! – de cette formalité que le règlement de la SACEM nous imposait de remplir il y quelques années, nous les compositeurs de musique concrète, pour être admis à déposer une œuvre de musique électroacoustique « sur support » :  il fallait accompagner une copie de l'œuvre sur bande (plus tard sur CD, DAT, ou fichier numérique) du soi-disant relevé graphique de sa première minute, afin de montrer qu'on savait lire les notes. Il s'agit ici de mon Perpetuum Kyrie de 1997. « Une minute, pas plus, vous voyez ce n'est pas beaucoup demander », semblait nous dire la SACEM.  Je ne me suis jamais prêté à ça sans éprouver un sentiment de mortification et d'infantilisation. Heureusement, ce n'est plus exigé.

Car bien entendu, le fameux relevé graphique ne notait rien du tout. Les pauvres clés de sol que vous voyez en tête de portée font à peine semblant de donner une caution musicale à cette pseudo-partition (en aidant à situer vaguement la première hauteur que l'on peut discerner, à 18'' du début, comme un si naturel), mais cela ne trompe personne, et même avec les précisions verbales que j'y ajoute (« souffle train de nuit », « rythme de train qu'on croise », « montée souffle », etc.), il est impossible d'en déduire ce qu'on doit entendre. Même l'acousmoniste à sa console ne peut rien en faire (sur les acousmographies et sur l'édition papier des œuvres de musique concrète, j'ai exprimé ma position dans le blog Entre deux images n°98, du 25 juin 2020, auquel je me permets de vous renvoyer ; je déplore que l'on perpétue le mythe et le faux-semblant de la « score » pour ce qui n'en relève pas et n'en a pas besoin). ...

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HISTOIRE DE MES MUSIQUES CONCRÈTES, 19. L'ISLE SONANTE, 1998-2021

29 janvier 2023

Pour illustrer ce chapitre où j'arrive à la composition de L'Isle sonante, je cherchais une image plus inattendue. Mais non : celle-ci, prise au Polaroïd dans le studio 116 A du GRM de l'INA encore équipé de magnétophones (ceux-ci allaient bientôt être débranchés et remisés dans un sous-sol), convient tout à fait. On m'y voit penché, en 1998, sur des appareils qui ne sont pas seulement mes instruments de travail mais aussi, pour cette œuvre, en grande partie les sources mêmes des sons. Ce qu'on n'y voit pas - car j'ai omis de le photographier - ce sont les dispositifs de micros que j'avais eu l'idée de placer en contact avec la bande en train de défiler, avec les plateaux de métal qui la supportaient, avec les pièces mobiles – tendeurs, cabestan – régularisant son allure, cela de façon à créer, tout en les captant, des rythmes qui me portaient et me donnaient une autre respiration, rythmes de frottements ou d'à-coups qu'il était à tout moment possible d'influencer. J'ai fait ainsi, sereinement et tout seul, de longs tournages dans lesquels la bande de 6,25mm de large lisait des tenues électroniques plus ou moins étirées et ralenties (issues de mes séances de travail, étalées sur 25 ans, avec divers synthétiseurs), en même temps qu'était enregistrée la susurration de son déroulement, plus ou moins contrarié – le tout mixé sur le moment même. Un jour, lors d'une de ces séances, une pièce de métal du micro Neumann frottant contre l'un des plateaux s'est mise à chanter une note, aussi enthousiasmante que l'appel d'un bateau qu'on n'attendait plus ; c'est ce moment qui me donna un grand bonheur, d'avoir eu lieu et d'avoir été enregistré dans le même temps, et qui me suggéra L'Isle sonante. On l'entend dans la séquence de L'Arrivée aux Îles, au cours de laquelle Axelle, l'héroïne lectrice, lit et relit un passage du roman maritime Mardi, d'Herman Melville, évoquant une arrivée au petit matin en vue d'îles paradisiaques :

« Et quand les rayons presque horizontaux du soleil, traversant l’air comme un prisme, touchent la terre verdoyante, (les Îles) palpitent tout entières d’étincelles de rosée. » ...

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