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ENTRE DEUX IMAGES n°76 / TOP-LIST n°21

10 mars 2019

SPECIAL VIEUX ET MOINS VIEUX + TOP-LIST N°21 DES CHANSONS SUR LE GRAND ÂGE

Edith et Claude Maurer / Marcello /Taviani / Motta et Monaco / le personnel de l'Hôtel-Dieu / Marchetti / Répécaud / Welles / Perkins / Solomos / Schaeffer / Baudelaire / Loewe / Lerner / Colette / Minnelli / Cukor / Hepburn / Nixon / Beaton / Caron / Gingold / Chevalier / Palmier / McCartney / Lennon / François et Brigitte Pierre / Parker / Charles / Lynn / Kubrick / Rain / Harlan / Strauss / von Eichendorff / Lynch / Norman / Schwarzkopf / Anderson / Weill / Walter Huston / John Huston / Wyler / Dieterle / Simon / Sternberg / Young / Etting / Merman / Jolson / Durante / Ferré / Brel / Geneviève et Robert Fléchelle / Guichard / Ferrat / Senlis et Delécluse / Monnot / Piaf / Allwright / Molière / Dasté / Dominique, Rémy, Christine, Bénédicte, Violaine, Nicolas, Carole, Agnès et Loïc Dufour et leurs parents / Campillo / Jenkins / Lacan / Holland / Laxton

Édith et Claude, mes amis de Strasbourg, avaient beaucoup aimé La Bocca del Lupo, 2009, de Pietro Marcello, dont ils m'avaient prêté le DVD, que je me suis enfin décidé à regarder. Entretemps, Anne-Marie et moi avons passé trois jours à Gênes (Genova), où se déroule le film, qui incorpore des archives filmées de l'histoire de cette ville tout au long du XXe siècle. En attaquant le début, où s'entremêlent stock-shots, voix-off et images fugaces, je crains quelque chose de compliqué et d'un peu poseur, comme quelques-uns des films des Taviani, et peu à peu nous découvrons un grand film et un couple vieillissant, celui de Vincenzo « Enzo » Motta, et de Mary Monaco, un travesti, qui après une existence largement passée en prison, espère une belle fin de vie ensemble, et c'est magnifiquement humain, dense, touchant et beau à la fois.

Moi, j'ai eu 72 ans en janvier, et de plus en plus je suis hanté par le souci de bien employer les forces que j'ai - en quelle quantité, qui peut le savoir - pour réaliser mes projets. 72 ans, c'est un âge arbitraire, des millions de gens l'ont qui sont tous différents, tous, ont vécu, vivent et vivront dans différentes conditions. L'âge exact, tel qu'on vous le demande, et c'est normal, pour tout examen de santé, c'est sta-tis-ti-que, avec trois tirets. Cela change de sens selon votre histoire, votre milieu, votre corps et ce qui est arrivé à celui-ci.

La mort ? Dans mon Requiem, musique finie à 26 ans, toujours la plus demandée de celles que j'ai composées (je réponds toujours favorablement à cette demande, je ne boude pas l'œuvre et ne lui reproche pas l'ombre qu'elle peut faire à des œuvres moins anciennes), je crois avoir tenté de regarder en face moins la mort que mon angoisse de mourir, et l'angoisse de quoi que ce soit qui puisse se dérouler après – y compris l'horrible éternité - , et brandi, me semble-t-il, la revendication d'être vivant sur terre, donc bruyant. En 2000, donc un peu plus de 26 ans après sa composition, je suis passé par une maladie imprévue et grave, causée par un petit caillou bloquant le fonctionnement du pancréas et entraînant toutes sortes de complications ; je me suis dit alors superstitieusement : voilà, c'est à cause de ce Requiem fait prématurément que j'ai tenté la Mort, celle-ci m'a laissé vivre autant de temps que j'avais vécu avant de le faire, et c'est fini. Et puis on s'est occupé de moi, ma femme et de nombreux amis et proches, le personnel de l'Hôtel-Dieu m'ont entouré de soins, d'amour et de vie, et avec apparemment mon propre désir de repartir, je suis reparti pour un tour.

Dans Diktat en revanche, composé en 1979 à 32 ans, j'avais voulu exorciser la peur que j'éprouvais de connaître un jour une vieillesse-naufrage, une vieillesse-déchéance, une vieillesse-solitude, par un mélodrame de musique concrète qui n'a été joué en concert qu'une fois, en 1979, à sa création en Avignon devant un public réduit. Lionel Marchetti, qui m'a fait reconstituer la pièce, a oeuvré à la faire éditer sur deux CD dans Nuun, et lui a consacré une belle conférence à Rouen. L'insuccès à l'époque de cette pièce d'environ une heure vingt, « ingrate » mais très appréciée de certains, dont Dominique Répécaud, m'a moins blessé que celui, plus tard, de la Tentation de saint Antoine, dont je voulais faire une œuvre populaire (voir le blog n°45), et que le GRM, qui en était le commanditaire, a soigneusement évité de reprogrammer pendant 25 ans. Je suis vraiment heureux que Diktat commence à trouver son public.

Après, qu'est-ce que je peux faire ? Continuer sans me soucier de l'âge autrement que comme d'un problème pratique.

ENTRÉE OU SORTIE

Quant à l'idée de ma propre mort, elle se fait de plus en plus abstraite. Si c'est une porte, d'entrée et/ou de sortie, je peux juste dire que j'en suis statistiquement bien plus près mais qu'avec sa taille gigantesque, comme dans ce film de Welles Le Procès qui m'a tellement marqué quand je l'ai vu adolescent, elle a cessé d'être visible pour moi, puisque j'ai le nez dessus. Je fais allusion à la scène dans laquelle Anthony Perkins ressort d'un tribunal par une porte géante qui n'est pas celle qu'il a ouverte de l'autre côté. Je suis de plus en plus certain de la continuité de la vie terrestre pour les autres « après » ce qui peut m'arriver. Pas une seconde je ne crois à une « fin du monde » générale, ni dans 50 ans ni dans 100 ans ni dans 200. Ou alors il faut dire que dans certains pays pour certaines populations, hélas, cela n'a jamais cessé d'être, ici puis là, une fin du monde : guerres, épidémies, détresses, persécutions.

En revanche, pour revenir à ma personne, je sais que j'ai plus de chances qu'avant de me fatiguer vite, alors je suis tenté de renoncer un an de plus aux grands voyages, tant je suis très pressé d'utiliser ce qui me reste de santé, de force et de temps pour créer et composer.

Il y a aussi ceux qui vous poussent vers la sortie. L'important est qu'ils le fassent avec humour et même en face (pas sous la forme du « trou refermé dans l'eau » dont je parlais la dernière fois), et que cela soit reçu comme tel, de sorte que cela me stimule à défendre ce que je fais. Avec une certaine malice, Makis Solomos, dans les deux jours d'hommage que m'a consacrés le colloque de Rouen, s'est plu à me situer, sur le plan du rapport au son, dans un même âge de l'écoute attentive radiophonique auxquels auraient appartenu Pierre Schaeffer (1910-1995) et moi-même, et une nouvelle ère qu'il travaille à définir et étudier, celle du « milieu sonore » . Dans l'échange qui a suivi, j'ai répondu qu'entre Schaeffer et moi il y avait 37 ans de différence, et que pour Solomos (qui n'a « que » 15 ans de moins que moi), il s'agissait peut-être, comme on dit, de secouer le cocotier. C'est sain, mais cela m'intéresse sur des effets de perspective liés à l'éloignement dans le temps.

Bien sûr, il y a la théorie du bouleversement Internet, et numérique, et tout ça et tout ça, qui aurait creusé un gouffre générationnel. Mais moi, j'en entends parler depuis … quarante ans.

TOP-LIST N°21 : HUIT BELLES CHANSONS OU MÉLODIES SUR L'ÂGE ET LA VIEILLESSE

Il y aurait beaucoup de poésies à citer: comme par exemple Les petites vieilles, une des choses les plus belles qu'ont aie jamais écrites sur le sujet, et que seul Baudelaire, mort à 46 ans mais qui se sentait avoir « plus de souvenirs que (s'il avait) mille ans », pouvait signer. Il faut aller voir ce poème des Fleurs du mal, qu'on trouve facilement sur Internet, et qui rayonne de délicatesse et de bonté. Ici, j'ai pensé plutôt à des chansons, et j'en suis resté à huit.

1. I remember it well, 1958, de Loewe et Lerner, ext. du film Gigi

Gigi est une comédie musicale languissante mais agréable, située à Paris, inspirée de Colette et réalisée par Minnelli. Elle reste une des plus connues dans la série, qui débutait alors, de grosses comédies musicales en Cinémascope-couleurs à décors extérieurs et jolis costumes d'antan (beaucoup plus populaire dans le genre, mais aussi plus piquant, est le fameux My fair Lady, réalisé par Cukor en 1964 avec Audrey Hepburn que double Marni Nixon, à Londres, cette fois-ci avec de nouveau Cecil Beaton pour les décors et costumes). Malgré le charme de Leslie Caron et la beauté du Paris Belle Époque filmé sur place, beaucoup de gens retiennent du film, comme moi, le duo très affectueux entre Hermione Gingold, dans le rôle de la grand-mère de l'héroïne, et Maurice Chevalier, dans celui du vieux Honoré qui fut un séducteur : il perd un peu la mémoire, croit se rappeler comment était habillée sa chérie, se trompe sans arrêt sur le où, le quand et le comment de leurs amours, et son ex-amoureuse le corrige avec tendresse. Tous deux font un beau couple à l'écran. J'apprends sur Wikipedia que Gingold a publié son autobiographie sous le titre How to Grow Old Disgracefully,

Ma mère craignait de perdre la mémoire (elle avait vu une de ses sœurs aînées atteinte d'Alzheimer et ne reconnaissant plus ses proches), mais cela ne lui est pas arrivé. Pour ma part, quand cette crainte m'effleure, je me récite compulsivement des listes de numéros de téléphone de proches et d'amis, et le « name dropping » auquel je me livre ici est aussi comme une conjuration.

2. When I'm sixty four, 1967, de McCartney et Lennon

La première chanson sur l'âge dont je me souvienne en tant que telle… peut-être parce que l'âge y est concrètement et précisément nommé. Les Beatles, et notamment Lennon et McCartney, ont produit des chansons si variées et souvent si tendres, même dans l'acidité – c'est une vraie bénédiction. Il y a aussi d'eux une œuvre poignante sur les personnes solitaires et âgées, les « lonely people » qui est à la chanson ce que le poème de Baudelaire est à la poésie. Je parle évidemment d'Eleanor Rigby, 1966, ce joyau.

Je ne peux pas évoquer les Beatles sans penser à mon regretté ami François Pierre, qui, dans son appartement familial de la rue Le Goff où je venais discuter avec lui, m'avait appris à prêter attention aux paroles de leurs chansons (à l'époque, dans les années 60, je ne savais pas encore un mot d'anglais, n'ayant fait à l'école que de l'allemand et du grec ancien ). François et Brigitte nous ont reçus en 1997 chez eux à Bethesda, banlieue de Washington DC, et c'est un grand souvenir d'amitié, entre autres pour une messe gospel dont je parle dans mon blog n°20, écrit à Berlin.

3. We'll meet again, 1939, de Parker et Charles, par Vera Lynn, dans la version de Dr Folamour

Comme beaucoup de gens, j'ai découvert cette chanson par l'emploi ironique qu'en fait Kubrick dans la déflagration finale de Dr Strangelove. Je crois que Kubrick avait réellement très peur de la mort en tant que néant, et notamment du moment de se-sentir-mourir (point commun entre une scène de 2001 où l'ordinateur Hal affirme par la voix de Douglas Rain: « My mind is going, I can feel it », et une autre de Barry Lyndon, lorsque meurt l'enfant unique de Redmond), et plusieurs de ses films sont une approche courageuse de la question, jusqu'à parvenir dans Eyes Wide Shut à la regarder dans sa simplicité, à la pacifier. L'emploi apparemment ironique de la chanson : « On se reverra » sur des images de destruction de la vie sur la planète, est à prendre au premier degré, selon moi : c'est le « on sait jamais, pourquoi n'y aurait-il pas un after life ? ». Kubrick est mort croit-on dans son sommeil à un âge que j'ai déjà dépassé ; je ne sais pas s'il s'est senti mourir, et j'espère pour lui que non. Puis-je souligner que deux films de cet auteur réputé cœur sec se terminent par une belle chanson entonnée par une voix de femme faisant face à la guerre : Paths of Glory (où sa future épouse Christiane Harlan fait pleurer des soldats français), et Dr Strangelove.

4. Im Abendrot, 1948, le dernier des Quatre derniers Lieder, de Richard Strauss, sur un poème de Joseph von Eichendorff

Le vieux Strauss, qui a continué à travailler sous le nazisme tout en protégeant des Juifs, adapte un poème simple et court d'un grand écrivain allemand, et c'est très beau, à la fois immense, exaltant et écrasant. Cela n'a pu être écrit que par quelqu'un qui avait tout traversé, et enfin rencontré une beauté pure et crépusculaire. Lynch en cite l'introduction orchestrale au début de Wild at Heart. Ah, le son, à la fin, des « zwei Lerchen », du couple d'alouettes (deux flûtes en tierce), comme la promesse d'un éternel matin, alors qu'elles volent dans le ciel du soir. J'aime particulièrement les versions de Jessye Norman et celles d'Elizabeth Schwarzkopf (une chanteuse aujourd'hui souvent dépréciée et jugé maniérée, mais dont la ligne de chant est fantastique).

Wir sind durch Not und Freude / gegangen Hand in Hand ;
vom Wandern ruhen wir (beide) / nun überm stillen Land.
Rings sich die Täler neigen, / es dunkelt schon die Luft.
Zwei Lerchen nur noch steigen / nachträumend in den Duft.
Tritt her und laß sie schwirren, / bald ist es Schlafenszeit.
Daß wir uns nicht verirren / in dieser Einsamkeit.
O weiter, stiller Friede ! / So tief im Abendrot.
Wie sind wir wandermüde – / Ist dies etwa der Tod ?

Tel est le poème, se terminant sur le mot « Mort » , au masculin dans cette langue, du grand Joseph von Eichendorff, que je cite en allemand et qui est tout apaisement de la fatigue de la vie. Arrangez-vous pour le traduire, Google translate fera ce qu'il pourra. « Wandermüde », « harassé de la promenade », comment rendre cela dans une autre langue d'une façon qui ne soit pas stupide et plate ! Il n'est d'ailleurs pas question, dans ce que Strauss fait de ces vers sublimes, de la vieillesse en tant que telle, mais d'une fatigue que ce bonhomme de 84 ans, quelle que fût sa vitalité esthétique (voir l'opéra Capriccio et les Métamorphoses pour cordes) devait ressentir tout de même. Croyait-il à la promesse de résurrection que semble impliquer la citation du thème final de son très ancien poème symphonique Tod und Verklärung ? Mais qu'est-ce que « croire » pour un musicien ? A 72 ans, je me pose encore la question. Quand je fais une musique, je crois à ce dont elle parle.

5. September Song, 1938, d'Anderson et Kurt Weill, dans la version de Walter Huston.

J'ai découvert cette chanson sur un disque 33 tours, dans une belle version enregistrée par son créateur. Aujourd'hui oublié, sauf par les cinéphiles, le père de John, que le DVD permet de revoir en acteur imposant dans Dodsworth, 1936, de Wyler, The Devil and Daniel Webster, 1941, de Dieterle (où il est le démon face à une Simone Simon belle comme... le diable lui-même) et bien sûr l'immense Shanghai Gesture, 1941, un des monuments de Sternberg, avait créé la chanson sur scène dans une opérette.

Des différentes interprétations par Huston qu'on trouve sur Youtube, je préfère celle de 1944, chez Decca, avec un orchestre dirigé par Victor Young. Huston père, avec sa voix riche d'acteur, était un enfant des années 20-30, celles où les chanteurs de variété n'avaient pas peur de vibrer: ce qui rend si émouvant pour moi (et ridicule pour d'autres, tant pis pour eux) le style de chant de Ruth Etting, Ethel Merman, et bien sûr de l'extravagant Al Jolson, c'est cette science du vibrato et du trémolo, cet appel au cœur qui ne se cache pas.

En 2015, au Wissenschaftskolleg de Berlin je me rappelle avoir fait chanter en karaoke un « screen song » par Ethel Merman de la valse Let me call you sweetheart, où elle nous apprend la chanson que nous devons ensuite reprendre, en suivant les paroles sur l'écran avec la petite « bouncing ball ». Tous ces morceaux se retrouvent chez vous sur Youtube.

Il y a aussi une étonnante version par Jimmy Durante, que j'ai découverte sur Youtube, filmée en 1955, probablement pour la télévision ; Durante joue de sa diction légendairement bougonne et exaspérée, pour faire surgir la tendresse.

6. Avec le temps, 1970, de et par Léo Ferré

« Avec le temps, va, tout s'en va et l'on se sent blanchi / Comme un cheval fourbu et l'on se sent glacé
Dans un lit de hasard et l'on se sent tout seul: / Peut-être, mais peinard (…)
Alors vraiment, avec le temps / On n'aime plus. »

Avec sa certitude arrogante d'être la grande voix de la liberté et ses musiques interchangeables et rudimentaires, Léo Ferré m'a souvent irrité, mais cette chanson-là et la façon dont il l'interprète sont déchirantes. Je tiens à dire que le texte original que je reproduis ci-dessous, pris sur Internet, ne correspond pas à ce que j'ai toujours cru entendre: « on n'aime plus », texte lisible sur Internet, sonnait pour moi auditeur « on aime plus », c'est-à-dire « on aime encore plus », prononcé sans le « s » traditionnellement ajouté quand on le dit pour le distinguer à l'oreille de son homonyme négatif. Avais-je tort d'entendre à l'envers ? Non, j'ai entendu selon mon cœur et mon goût, comme c'était possible dans ma jeunesse (bien avant, comme on le voit dans les vieux films, il y avait eu les "petits formats"' vendus dans la rue, avec le texte et la ligne de chant, et bien plus récemment, Internet a permis de lire ces paroles quand on le souhaite)...

Il est courant de citer à côté de la chanson de Ferré Les vieux de Jacques Brel, mais celle-là ne m'a jamais plu. Je n'y entends qu'un morceau de bravoure formel, un tableau conventionnellement silhouetté. « Les vieux ne parlent plus », prétend Brel ! Ce n'était pas le cas de beaucoup de gens de différents milieux que j'ai connus à différentes époques, à commencer par nos grands-parents, mais aussi nos parents nourriciers, Geneviève et Robert Fléchelle, morts tous deux à un âge très avancé. Cela dit, Jacques Brel est un génie, et Ne me quitte pas ou Les Bonbons sont des chefs-d'œuvre.

7. Mon vieux, 1963, de Michelle Senlis et Jean Ferrat, par Daniel Guichard,

Je découvre par Internet que cette chanson n'est pas des années 70, et de Guichard, mais originellement des années 60 et, pour les paroles, de Michelle Senlis – celle-là même qui a écrit pour Piaf, avec sa compagne Claude Delécluse et sur une musique de Marguerite Monnot, ce chef-d'œuvre, Les Amants d'un jourMoi j'essuie les verres au fond du café ») ; la version très belle, misérabiliste (le « vieux pardessus râpé ») et poignante à la fois, que Guichard a rendue populaire est le produit de différentes retouches contestées par Senlis. Le passage, à la fin, de « Mon vieux » à « Papa » est vraiment beau.

8. Il faut que je m'en aille, 1967, de et par Graeme Allwright

Le grand Néo-zélandais francophone (je l'ai vu au théâtre en Arnolphe de l'École des femmes, mis en scène par sa femme Catherine Dasté), est associé pour moi à son disque 33 tours qu'écoutaient en vacances, dans le chalet voisin de celui de mon père et de sa femme, les enfants Dufour, devenus des amis : « Buvons encore une dernière fois / A l'amitié, l'amour, la joie. »

Ce n'est ni le propos ni le ton d'un vieillard, cela peut être le discours d'un homme de 45 ans, mais cela parle du temps qui a passé. Je recommande l'enregistrement de 1967 sur Youtube, où l'on voit Graeme s'accompagner de son autoharpe folk.

Voix fraternelle, belle musique, simplicité, la perfection même : j'aimerais que l'enregistrement soit joué pour mes funérailles, à reprendre en chœur par les présents, je le mets sur ma liste.

LE BADGE ET L'OIGNON

La question de l'âge n'appartient pas à la vieillesse. Qui, à n'importe quel âge, est en effet certain d'avoir plusieurs décennies devant lui ? Je finis donc sur un film où les personnages principaux ne vont pas plus loin que 35, 40 ans...

Loin de ces films plus ou moins trompeurs sur la supposée identité que confèrerait un état de marginalité ou de détresse, créée par exemple par le fait d'être « gay » et d'avoir le sida ou de le risquer – je pense au 120 Battements par minute, de Campillo où chaque personnage semble porter un badge invisible qui lui assigne une identité et une définition fixes, où qu'il soit et avec quelque personne qu'il/elle soit (voir mon blog n°58) – Moonlight de Barry Jenkins, que nous venons seulement de regarder, est une œuvre à la fois très émouvante, délicate, et... lacanienne dans sa façon subtile de montrer le moi se construisant en forme d'oignon par des identifications successives dont aucune ne disparaît. Chiron le héros, dans le film, joué par trois acteurs de l'enfant à l'adulte, n'est pas le même non seulement selon son âge, mais selon avec qui et dans quel cadre il est. Si vous ne voyez pas ce que je veux dire, tapez ensemble sur un moteur de recherche « Jacques Lacan » (oui, le psychanalyste ) et « oignon » (oui, le légume) et vous en saurez plus. Ici, une image de la scène finale de Moonlight dans laquelle Kevin (André Holland), ex-junkie menant une vie d'apparence rangée, répond à Chiron, qui pour sa part a tourné – provisoirement ? - différemment, sur la supposée médiocrité de son quotidien, ce que vous pouvez lire ci-dessous. Par ailleurs, le film est magnifiquement photographié en numérique sur Arri Alexa par James Laxton.