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SANS VISIBILITÉ - CHAPITRE 17 – TOP LIST N°26

21 mars 2021

UNE FARANDOLE DE NOMS

Roe Smith / Schumacher / Duvall / Douglas / Desproges / Villers / Rego / Gorbman / Trutat/ Farabet / Carlier / Karkowski / Bern / René Chion / Teruggi / Palmier / Preminger / Tierney / Leboutte / Lehman / Hitchcock / Grant / Bellour / Losey / Solinas / Costa-Gavras / Delon / Clément / Highstmith / Minghella / Damon / Ludlum / Singer / McQuarrie / Postlewaithe / Hugo / Duras / Jeunet / Blier / Baye / Dhôtel / Balzac / Giraudoux / Lucrèce / Tarquin / Godard / Antonioni / Peploe / Nicholson / Schneider

La réplique originale dans cette image extraite de Falling Down (Chute libre, 1993, écrit par Ebbe Roe Smith et réalisé par Joel Schumacher) est « I am sorry Prendergast! We tried and tried, but could not fit your fucking name on the cake”. Littéralement : “Désolé, Prendergast, on a essayé tant qu'on a pu, mais pas moyen de faire tenir ton foutu nom sur le gâteau.” Prendergast, c'est l'homme vieillissant et bedonnant qu'on voit à droite, admirablement joué par Robert Duvall, un policier de Los Angeles qui prend sa retraite, et est considéré par beaucoup d’autres policiers de son commissariat comme un planqué, parce qu’il ne va jamais sur le terrain. Le gâteau dont il s’agit est un gâteau pour fêter son départ sur lequel il est écrit (image ci-dessous) : « So long Prenderg ». Prendergast est un nom d’origine irlando-galloise, pas si rare aux États-Unis, mais sa relative longueur est un prétexte de plus que le jeune policier méprisant qu’on voit au centre a trouvé pour l’humilier. C’est comme si la scène nous disait : il y a toujours moyen de jouer avec votre nom, quel qu’il soit. Quelqu'un, ici le jeune freluquet qui feint de s'excuser, trouvera toujours à y redire.

Dans le film, Prendergast trouve sa revanche en élucidant le mystère créé par le périple dans la ville d’un homme dangereusement armé, le D-Fens dont je parlais dans le blog n°15 de cette série Sans visibilité, et qu’incarne de façon si impressionnante Michael Douglas, au point d’éclipser souvent dans la mémoire du spectateur Duvall dans le rôle de l’homme qui finira par l’empêcher de nuire, Prendergast. Ce faisant ce dernier retrouvera sa fierté, mais aussi en quelque sorte, il redorera son nom qui dans le film est celui d’un homme accablé de problèmes et de malheurs passés (la perte d'une enfant, une épouse dépressive, l'humiliation au travail), mais qui contrairement à D-Fens, les affronte avec humilité et humour et sans prendre à témoin la terre entière.

La question du nom n’est bien sûr pas centrale dans ce thriller brillant, et par bien des côtés toujours actuel, sur entre autres le risque d’explosion d’une société en communautés, mais cet épisode d’un film que je connais bien, pour l’avoir maintes fois commenté et montré à Paris III sur les questions morales qu'il soulève, m’a semblé un bon prétexte pour introduire la question du nom que l’on porte. Elle me concerne puisque je m’appelle Chion, ce qui, en ajoutant un s et le mot « ensemble », comme quand j’étais enfant des petits malins le faisaient sur le tableau d’affichage de l’école, pourrait se traduire par Let’s shit together ! Évidemment, avec ce nom, je pourrais entrer dans la classe de ceux que Pierres Desproges s’est amusé un jour à baptiser les "handicapés patronymiques" à côté des Moncul, Grossin et Hanus pour la langue française. Tout le monde, il est vrai, n'a pas la chance de s'appeler Desproges. N’ayant jamais eu beaucoup d’admiration pour le talent de ce fantaisiste crispé dans un registre étroit de provocation (dans la bande que Claude Villers avait rassemblée, au début des années 80, pour son excellente émission de France Inter le Tribunal des flagrants délires, je lui préférais Luis Rego) et ne trouvant pas cette formule si drôle, je n’en parlerais pas si elle n'était devenue d’usage courant, au point que sur plusieurs sites de discussion certains s’échangent les noms de gens qu’ils ont eus comme professeur ou comme voisins et qui sont censés faire partie de cette peu enviable catégorie. Parfois, c'est mon nom qui circule avec cette étiquette d'handicapé patronymique, cité par des gens que j'ai eus comme étudiants.

Bien sûr enfant, j’étais contrarié de ce nom, et me sentais atteint par les moqueries qu’on en faisait, mais c’est plus tard que j’ai compris que même un nom ou un prénom normaux sont un point de départ suffisant. Il n’y a donc pas d’handicapé patronymique. D’ailleurs il me suffit d’aller dans un pays non francophone, ce que j’ai eu la chance de faire des dizaines de fois pour des voyages, conférences, colloques, bourses, concerts, remises de distinctions, etc. pour que ce problème disparaisse entièrement comme s’il n’avait jamais existé. Je me rappelle avoir pris une fois l’avion pour Minneapolis, pour me rendre à un colloque, en côtoyant un présentateur de télévision français connu en France de dizaines de millions de gens, et qui bien sûr ne voyagerait pas comme moi en classe économique. Je me disais : dans le pays où je vais, grâce notamment aux excellentes traductions de mes livres par Claudia Gorbman et un peu moins à certaines de mes musiques concrètes, il y a quelques milliers de gens qui connaissent mon nom comme celui d’un auteur, sans lui associer de connotation comique, tandis que ce présentateur - mettons Jean-Pierre Pernaut - devenait, en traversant l’Atlantique, un parfait inconnu.

Dans certains cas, il faut compter sur l’effet inverse, quand un prénom courant dans votre pays sonne pour grotesque aux oreilles de quelque crétin d’un autre pays. « L’humoriste » Guy Carlier, dans une de ses chroniques sur France Inter qui eurent l’honneur d’être réunies en volume et imprimées, trouvait désopilant de faire savoir que l’émission Atelier de création radiophonique de France Culture, fondée par Alain Trutat et continuée par René Farabet, avait passé commande à un compositeur polonais (connu de ceux que la musique électroacoustique intéresse) nommé Zbigniew Karkowski. Il se trouve que j’avais entendu l’émission par ailleurs souvent amusante de Stéphane Bern Les Fous du Roi où Carlier n'avait trouvé ce jour-là pas de meilleur sujet de rigolade : « Vous vous rendez compte (disait-il au milieu des rires complaisants de la bande de Bern), sur France Culture ils programment un type qui s’appelle Zbigniew. » Quand je vis, dans la librairie du Bazar de l'Hôtel de Ville, un recueil de chroniques de Guy Carlier où il avait repris cette pauvre blague, je choisis de réagir. J’estimais la musique de Karkowski, et d’autre part, je n’aime pas que sur France-Inter on se moque de France-Culture. J’adressai donc à Carlier, Maison de Radio France (j'y ai travaillé moi-même), une lettre avec mes coordonnées en en-tête. Je l'ai retrouvée dans d'anciens fichiers, elle est de novembre 2002.

« Monsieur Carlier,

J’aimais bien écouter Les Fous du Roi, même si je trouvais votre chronique un peu “beauf”, du genre “beauf qui se croit plus malin que les beaufs”. Cette semaine, j’ai feuilleté en librairie votre recueil de chroniques, et suis tombé sur celle où vous rigolez de l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture.

Quand les comiques n’ont plus d’idée, ils se moquent de la musique ou de la radio d’avant-garde, écoutées croient-ils par personne. On peut le faire avec esprit. Vous, le simple nom de Zbigniew Karkowski vous fait rire. Zbigniew, que vous écrivez Zibigniew, est un prénom polonais courant. Je ne sais pas s’il y a des beaufs en Pologne assez bêtes pour trouver les prénoms français comme “Guy” ridicules. Le con français rigole des prénoms polonais.

J’ai composé il y a vingt ans grâce à l’Atelier de Création Radiophonique une Tentation de saint Antoine, que des gens qui ont vingt ans découvrent aujourd’hui avec plaisir. Dans vingt ans, j’espère que vous aurez l’occasion de feuilleter votre recueil d’humour démagogique défraîchi. Il y aura certainement des comiques d’aujourd’hui qui vont rester ; vous, ça sera très vite rance, ça l’est déjà. Les gens qui se moquent par principe des livres qui tirent au départ à 500 exemplaires, des radios qui ne sont pas écoutées en même temps par des millions de gens, des concerts où l’on est au départ cinquante dans la salle, ces gens-là ont toujours été, sont et seront toujours des cons. Quand ils se croient au-dessus des autres, ce sont les plus cons.

En plus je m’appelle Michel Chion (ouaf ! ouaf !) »

Quelques jours après mon envoi, à ma surprise mais aussi finalement à mon amusement, je reçois un coup de fil de Carlier lui-même qui, furieux, n’avait même pas pris le temps d’écrire et de poster une lettre : « C’est vous Chion ? Je suis Carlier. Qu'est-ce qui vous prend ? De toutes façons, je m'en fous, dans deux mois je vais encore sortir un livre. » Que pouvais-je répondre, sinon redire ce que j'avais déjà écrit ? Mais avant que nous ayions échangé plus de trois phrases, il avait déjà raccroché sans dire au revoir. Finalement, lui aussi (à sa place, j'aurais ignoré la lettre que je lui avais envoyée et à laquelle d'ailleurs il n'avait rien à répondre) devait être sensible à la question de son nom. Tout comme l’a été Desproges, autrement celui-ci n'aurait pas projeté sur les autres cette question de patronyme handicapant. Il y toujours mille raisons pour cela, liées notamment au lieu de naissance, à la famille, etc.

Dans la mienne, d'histoire, il semble que mon père ait été troublé par le fait quand, devenant compositeur et auteur de livres, je n’ai pas pris de pseudonyme. Il me l’a laissé entendre une ou deux fois. Cela m’a affecté de l’apprendre, car je croyais faire honneur à ce nom et rendre hommage au père dont je le tenais en le conservant comme nom public. Mais on voit bien que cela se passait non dans le nom en lui-même, mais dans mon rapport à mon « géniteur » puisque c’est ainsi que celui-ci se dénommait parfois, comme sans doute pour celui-ci par rapport à son père.

Une autre bonne blague : notre mère née Palmier, divorcée du père de ses enfants et ayant repris son nom de naissance, aimait à rappeler une vanne que lui répétaient ses anciennes camarades de pension, restées ses amies proches, lorsqu'elles avaient appris en 1944 qu’elle allait se marier avec un Chion. La voici - attention vous risquez de mourir de rire : « chions sous l’palmier, chion's sous l'palmier ». Notre futur père en avait-il eu connaissance ? Toujours est-il que dans les années 90, à Maureillas, regardant avec lui et sa deuxième femme Hélène un documentaire sur la Californie à la télé, il fit à la cantonade cette remarque, qui apparemment n'était pas une allusion consciente au nom de jeune fille de son ex-épouse : « Finalement, le palmier, c’est un arbre moche, on dirait un balai de chiottes ». J’enregistrai la remarque, sans engager avec lui la discussion sur ce rapprochement, qui en somme fermait la boucle.

J'ajoute que ce nom que nous portons n'est pas sans avoir une qualité dynamique. C'est une sorte d'impératif, d'injonction, qui pourrait expliquer que ce que j'ai pu parfois dire ou écrire ait été reçu en France comme autoritaire - voire fasciste, m'a dit une fois un membre du GRM, que sa direction (à l'époque, Daniel Teruggi) laissait parler ainsi à ses invités. Pourtant je n'ai jamais dirigé que des thèses.

Lorsque je dois épeler mon nom pour une facture par exemple, il arrive que sans mauvaises intention la personne qui l'écrit mette Chian, comme si j'étais d'origine arménienne. Je suis habitué et je rectifie toujours sans m'énerver. Après tout, je préfère m'appeler Chion plutôt que Chian, cela a un côté actif et volontaire. Une amie très proche m'avait raconté que la première fois qu'on lui avait parlé de moi, elle avait tout de suite pensé faire quelque chose avec un type qui s'appelait ainsi. Nous avons fait différentes choses ensemble, dont un petit essai sur le film de Preminger avec Gene Tierney Laura, écrit à deux voix mais que l'éditeur commanditaire, représenté par Patrick Leboutte, a refusé comme « imbuvable » parce que trop féministe. Le texte est toujours inédit.

En résumé, même si vous vous appelez Martin en France, Bergman en Suède ou Müller en Allemagne, ce nom pourra toujours être un point sensible dans votre histoire. S’il ne l’est pas, tant mieux.

Pour terminer ce blog, j’esquisse une liste de dix œuvres de fiction, film ou roman, qui sont marquantes sur la question du nom. Comme d’habitude sans ordre de préférence, ni ordre logique. Ce sera ma top list n°26 :

1 - Évidemment, La Mort aux trousses, 1958, écrit par Ernest Lehman pour Hitchcock, qui se joue sur trois noms, Kaplan, Townsend, Thornhill, ce dernier étant le vrai nom du personnage joué par Gary Grant. Raymond Bellour a fait un texte admirable dans un numéro ancien de la revue Communications sur ce film, « Le blocage symbolique », il y montre très bien le rapport entre le nom de Kaplan et ce que Lacan appelle le Nom-du-père.

2 - Évidemment aussi, le Monsieur Klein, 1976, de Losey scénarisé par Franco Solinas et Costa-Gavras où Alain Delon – producteur du film - incarne un spolieur de Juifs durant l’Occupation allemande, nommé Klein, qui va devenir, par confusion, un Klein juif, et se trouver inclus le moment venu dans la grande rafle de 1942 dite du Vel d’hiv. Une idée poignante du réalisateur et des scénaristes est de montrer de temps en temps, avant la rafle, un immense hangar où il est prévu de parquer provisoirement les déportés. L’alphabet y figure en lettres géantes, A B C, etc., pour délimiter l’espace où par ordre alphabétique, les porteurs de nom, les familles, vont être rangés. N'oublions pas que Delon avait déjà joué, en 1960, dans Plein soleil de Clément, d'après le roman Monsieur Ripley de Patricia Highsmith (Minghella en fit en 1999 une deuxième et remarquable adaptation, avec un excellent Matt Damon) un usurpateur, volontaire cette fois-ci, d'identité. Quant à Damon il ne savait pas encore que pour le très grand public il allait plus tard incarner David Webb alias Jason Bourne, le héros sans mémoire de Robert Ludlum.

3 - Le thriller réalisé par Bryan Singer écrit par Christopher Mc Quarrie, Usual Suspects, 1995, est une admirable démonstration de la façon dont, dans une histoire construite au cours du film par un des personnages qui picore des noms propres partout autour de lui dans son environnement, les noms peuvent se coller arbitrairement sur les bonshommes (le personnage de Kobayashi joué par Pete Postlewaithe)

4 - A tout seigneur tout honneur pour le roman, par le plus grand inventeur de noms propres de la littérature française, Victor Hugo, Les Misérables, publié en 1862 : Jean Valjean (que personne n’appelle jamais Valjean tout court), Javert (dont tout le monde en revanche ignore le prénom), Thénardier, Fantine, Gavroche, Cosette, Mgr Myriel, Enjolras, etc., que de noms rentrés dans la mémoire collective ! Ces noms sont tellement forts qu'ils font accepter la psychologie apparemment très simple des personnages, ils en font des mythes. Il est intéressant de savoir qu’Hugo a longtemps cherché le nom de son personnage principal, qui fut d'abord, dans les manuscrits, Jean Tréjean. Déjà, trente ans plus tôt Notre-Dame de Paris avait créé un superbe bouquet de noms de personnages : Quasimodo, Esmeralda, Claude Frollo...

5 - Le ravissement de Lol V Stein, 1964, un extraordinaire récit de Marguerite Duras, où celle-ci, comme subitement inspirée, fait fleurir toute une série de noms et de prénoms qui semblent créer leur propre histoire : Lola Valérie Stein, mais aussi Anne-Marie Stretter qui reviendra plusieurs fois par la suite, Jack Hold, Tatiana Karl, Michael Richardson, etc.

6 - Le destin fabuleux d'Amélie Poulain, 2001 : je sais que les cinéphiles français de bon goût, du moins ceux que je connais, n'aiment pas le film de Jean-Pierre Jeunet mais moi il m'a enchanté. Le goût de Jeunet pour recréer un état civil se manifeste dès les premières secondes, où un personnage secondaire raye de son carnet d'adresses les noms de connaissances récemment disparues. Jeunet est de cette génération où l'on connaissait encore l'annuaire téléphonique, avec les rêveries que permettait ce gros livre.

7 - Notre histoire, 1984, de Bertrand Blier, sans doute le meilleur film à ce jour, jusque dans ses défauts, ici mieux assumés que d'habitude (et lourdement payés par un échec commercial), principalement un enlisement rapide des situations, de cet auteur-réalisateur. C'est l'histoire d'un homme (joué par Delon, une fois de plus) qui décline tout de suite, en regardant la caméra, ses nom et prénom, et à qui s'attache une femme d'abord sans nom (l'auto-stoppeuse sans nom du Camion de Duras semble en être le modèle). Puis cette femme, jouée par Nathalie Baye, acquiert un prénom, celui de Donatienne, et enfin elle trouve un nom de famille, ou plutôt plusieurs. Ce déploiement onomastique est toute la trajectoire que poursuit le film.

8 - Lumineux rentre chez lui, 1967, un roman d'André Dhôtel. C'est l'histoire d'un homme terne nommé Bertrand Lumin, que ses connaissances ont surnommé par dérision Lumineux. Son histoire lui fera « habiter » son nom et son sobriquet. J'aime beaucoup ce romancier peu connu, dont Phébus a réédité plusieurs titres dans sa belle collection Libretto. Même si tous les romans de Dhôtel ne portent pas sur les noms, ceux des personnages de ses livres semblent déjà appartenir à la réalité, sans être typés et expressifs, comme le sont parfois un peu trop à mon goût ceux des romans de Balzac. L'aventure, une aventure souvent confinée à un bout de territoire mais pas moins excitante, semble souvent mettre naître chez Dhôtel de quelques noms de personnages et de lieux.

9 - J'aimerais que figure dans cette liste une pièce de théâtre. Curieusement aucune ne s'impose tout de suite à mon esprit. Je pense néanmoins à une tragédie en prose de Jean Giraudoux oubliée et presque jamais jouée, écrite probablement au début des années 40, qui s'intitule Pour Lucrèce, et qui est peut-être une de ses meilleures. Le « pour » m'a beaucoup intrigué, parce que le personnage principal s'appelle Lucile. Il fait allusion au personnage romain de la femme violée par Tarquin. C'est en pensant à ce titre que j'ai intitulé Pour Lucienne un des mouvements de ma suite de musique concrète La Ronde. Chez Giraudoux, il y a une réflexivité des noms propres, sur lesquels les personnages reviennent tout comme il y a une réflexivité sur le langage. Je crois d'ailleurs que cela a beaucoup marqué Jean-Luc Godard.

10 - Enfin, pour revenir au cinéma, le grand film d'Antonioni The Passenger/Profession reporter, 1975, une sorte de thriller lent écrit par Mark Peploe. Le journaliste David Locke, joué par Jack Nicholson, pour fuir son identité emprunte celle d'un mort, Robertson, ce qui le conduit à sa propre mort, parce que l'homme dont il a volé le nom était un marchand d'armes poursuivi par ses clients africains. Une mort qui n'est pas complètement la sienne, puisque la jeune routarde sans nom qui l'accompagne depuis Barcelone, jouée par Maria Schneider (voir mon blog n°20 de la série Entre deux images), identifie son cadavre comme celui de Robertson, et que son épouse anglaise, jouant sur le mot « connaître », affirme aux policiers espagnols : « I never knew him. »