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ENTRE DEUX IMAGES n°21 / TOP LIST n°15

28 juin 2015

SEVENTIES EN FOLIE / POUR LES CHAPELLES ESTHÉTIQUES / TOP 15 : LES FILMS QUI M'ONT FAIT LE PLUS RIRE QUAND JE LES AI VUS EN SALLE

Gorzo / Jancso / quinze réalisateurs / Schneider / Boucher / Dufour / Woolf / trente réalisateurs et acteurs / Causse / Rodon / Hirschfeld / Langlois / Brooks / Feldman / et bien d'autres

SEVENTIES EN FOLIE

Ne redressez pas l'image ! Ces femmes possédées doivent avoir la tête en bas. Voici pourquoi.

Au Wissenschaftskolleg de Berlin, j'ai eu une chaleureuse et intéressante discussion avec Andrei Gorzo, jeune critique et professeur roumain, sur l'histoire du cinéma ; il a en cours un ouvrage sur le cinéma de Miklos Jancso, dont une petite partie de l'œuvre a été montrée ou éditée en France. Nous en venons à parler d'un des films les moins connus du maître hongrois, Vices privées et vertus publiques, 1975. Et ce film "de débauche" m'amène à évoquer une certaine fenêtre de transgression qu'a connue le cinéma entre 1969 et 1978. Une véritable explosion, qui a tout changé.

Qu'on en juge : on a eu notamment Midnight Cowboy, 1969, de John Schlesinger sur la prostitution masculine, Le souffle au coeur, 1971, de Louis Malle, avec son inceste mère/fils, il est vrai assez poétisé et flouté ; The Devils, 1971, de Ken Russell, adapté du roman d'Aldous Huxley sur l'épisode historique des nonnes possédées de Loudun (source également d'un très bon film de Kawalerowicz, Mère Jeanne des Anges), mais le film très puissant de Russell, dont une image ouvre ce blog 21, est insensé de violence et de déchaînement. Mais aussi The Straw Dogs, 1971, de Sam Peckinpah (où l'épouse du personnage principal, un intellectuel timoré, est montrée comme n'ayant pas détesté se faire violer par un coq de village anglais), Deliverance, 1972, de John Boorman (le viol de Ned Beatty, obligé par celui qui le sodomise à pousser des cris de porc, est un moment terrible), Frenzy, 1972 (dont Jean Douchet parle très bien dans un entretien avec la revue Vertigo, y soulignant que c'est le film où Hitchcock dé-glamourise le crime sexuel, et en fait quelque chose d'absolument sordide), Orange mécanique, 1971, de Kubrick (un des plus cérébraux de la série, et à mon avis le moins bon film de ce grand homme, qui cependant a eu dès sa sortie un retentissement considérable), Le Dernier tango à Paris, 1972, qu'il n'est pas nécessaire de remettre en mémoire (Bertolucci a exprimé ses regrets en apprenant en 2011 le décès de Maria Schneider, d'avoir engagé celle-ci toute jeune dans une aventure si perturbante), L'Exorciste, 1973, de William Friedkin (où les pires obscénités sortent de la bouche d'une fillette), La grande bouffe, 1973, de Marco Ferreri (on y meurt d'avoir trop mangé, dans la débauche, les flatulences et les vomissements), Salo, 1976 , de Pasolini (que je n'ai jamais réussi à regarder jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la vision des supplices). Et j'allais oublier Themroc, 1973, très bon film de Claude Faraldo avec inceste et cannibalisme, Eraserhead, 1977, de Lynch, film destiné à une exploitation parallèle en petit circuit, avec son bébé-monstre à l'aspect de lapin écorché, ou Pretty Baby, 1978, une nouvelle fois de Louis Malle - réalisateur accro à la transgression - où la petite Brooke Shields grandit au milieu d'un bordel bon enfant de la Nouvelle-Orléans et est convoitée par des clients. A l'époque, Gérard Depardieu pouvait être amené à jouer nu dans la moitié du film, comme La dernière femme, 1976, de Ferreri, où il finit par se couper le sexe. La même année le héros de L'Empire des sens, d'Oshima Nagisa, se fait étrangler (consentant) puis castrer par son amante, qui veut garder en elle son pénis. Quatre ans plus tôt, dans Cris et chuchotements, 1972, de Bergman, Ingrid Thulin, dont la sœur se meurt d'un cancer atroce, s'était tailladé le sexe avec un éclat de verre, pour ne pas être obligée de faire l'amour avec un mari détesté. Certains de ces films ne seraient pas faisables aujourd'hui, ou alors on les ferait plus froids, plus caustiques. Je me demande même si l'insuccès d'une œuvre aussi inspirée et agitée que Possession, chef-d'œuvre de Zulawski tourné dans le Berlin de 1980, ne vient pas de ce qu'il est venu un peu tard par rapport à cette vague.

Je ne mythifie pas les années 70 en soi. Ces films, que j'ai vus à leur sortie, n'étaient pas tous bons : Calmos, de Bertrand Blier, 1975, farce sur le thème de la révolte des femmes et sur la peur qu'elles inspirent aux hommes, est un des films les plus provocateurs du réalisateur mais aussi un des plus mauvais, bien inférieur à Buffet froid et à Notre histoire, qui viennent plus tard. Mais ils semblaient s'entraîner les uns les autres, et étaient portés par le souffle d'un "Zeitgeist" incontrôlé. Tout ce que la cinéphilie d'auteur, qui sectionne le cinéma en individualités fermées les unes aux autres et qui le trie entre "cinéma de créateurs" et "cinéma commercial", rate souvent et ne permet pas d'appréhender. C'est ce que j'essaie de saisir ici au Wiko, dans mon travail sur l'histoire du cinéma sonore : ces airs du temps, cette vitalité.

Tout n'était pas bien sûr du même ton : Fellini prenait à contre-pied son Casanova de 1976, refusant de le traiter comme un polissonnerie à la Boucher ou comme un cape-et-épée virevoltant. Claude Sautet continuait de réaliser ses musiques de chambre pluvieuses, enfumées et mélancoliques, sur le mal de vivre de quadragénaires. Notre cinéma populaire, en France, vivait une de ses pires périodes avec Delon et Belmondo maussades ou goguenards dans des navets sinistres de Verneuil ou de Deray qui faisaient des millions d'entrées (Le Magnifique, 1973, réalisé par De Broca et dialogué entre autres par Daniel Boulanger, est une heureuse exception, dans un esprit de parodie). D'Italie venaient des comédies piquantes ou douce-amère de Risi ou Scola, très appréciées chez nous (dont le remarquable Parfum de femme, de 1974). On commençait à découvrir les films d'"errance" de Wenders, comme Alice dans les villes, 1974. L'influence du cinéma d'art européen sur les jeunes auteurs américains comme Coppola ou Scorsese apparaissait très forte, mais déjà les grands succès de films-catastrophes dont les premiers ne survivent plus, comme Airport, contrairement aux suivants bien meilleurs (L'Aventure du Poséidon, La Tour infernale...) préfiguraient le retour du cinéma de grande salle, etc.

C'est dans cette ambiance cinématographique surexcitée que je fis naturellement en 1973 mon Requiem, de musique concrète - électroacoustique, disait-on à l'époque - , qui fut bien reçu par mes amis mais plus froidement par le GRM (où je l'avais fait mais qui refusera de l'éditer en CD). Il est vrai que j'étais dans un autre milieu, un micromilieu musical qui se voulait sérieux et visait à la respectabilité.

POUR LES CHAPELLES ESTHÉTIQUES

Une réaction de Denis Dufour à mon blog n°20, qu'on peut lire à la fin de ce dernier, apporte de l'eau à ce moulin commun que devrait être l'esprit anti-techniciste en musique. Elle émane d'un compositeur et d'un professeur importants, mais aussi du créateur, entre autres, de Motus, du festival Futura, etc. Comme Denis Dufour, je pense qu'il ne s'agit pas de nier la technique (ce serait idiot car il n'y a pas de musique sans technique, même un basson ou un piano, aussi bien pour leur construction que pour la façon d'en jouer, supposent de la mécanique), mais de critiquer le fait qu'on en fasse l'explication et le moteur de tout. Une fois encore il s'agit de revenir à l'histoire : les "écoles" esthétiques semblent suspectes de créer des chapelles, une mot devenu stigmatisant dont personne n'ose se réclamer. Ne reste plus alors, faute de point d'appui esthétique, qu'à suivre la pente techniciste que prend l'évolution du mode de vie, avec la sortie programmée des iPhones...

En ce qui me concerne, je suis pour les chapelles artistiques comme lieux de résistance et d'indépendance, tant qu'elles ne deviennent pas des instruments d'oppression, et ne règnent pas comme une église unique. On se méfie des noms en "ismes" (moi-même, j'ai écrit que la musique concrète n'est pas concrétiste dans le sens où elle n'est pas enrôleuse, prosélyte), mais il faut reconnaître que le surréalisme, le cubisme, le sérialisme ou le symbolisme (pour citer en vrac dans le temps et dans les domaines artistiques) ont été en leurs temps sains et productifs. Quant aux chapelles, elles ont donné à Mallarmé, Alban Berg, Virginia Woolf, Beckett, Bob Wilson, Stockhausen, Messiaen, Vera Chytilova, c'est-à-dire pas à n'importe qui, de l'élan et du courage pour créer, publier, réaliser des œuvres différentes, dans des conditions souvent peu favorables.

TOP LIST n°15 : LES FILMS QUI M'ONT FAIT LE PLUS RIRE QUAND JE LES AI VUS EN SALLE

"Vus en salle", parce que si j'ai bien apprécié Hangover en DVD, j'aurais bien aimé le voir avec un public, et partager la bonne humeur.

1) Monty Python and the Holy Grail (Jones et Gilliam, 1975) : j'hésite entre celui-ci et La vie de Brian, qui suivit, mais j'ai un tel souvenir de la séance d'une salle du Quartier Latin où est sorti Sacré Graal. Le public (sauf mon voisin, un collègue du GRM justement, glacial) hurlait déjà de rire devant les indications loufoques sur le générique, puis c'est le roi Arthur faisant semblant de monter à cheval suivi de son écuyer imitant le bruit du galop, la rencontre avec le chevalier noir qui se fait tronçonner plutôt que de céder le chemin, et ce n'était que le début.

2) Skin Deep, (Blake Edwards,1989, avec un titre français surprenant, L'amour est une grande aventure) : ce film-là surtout pour une séquence et une seule - mais laquelle - celle des préservatifs fluorescents, irrésistible à voir dans une salle bien disposée. Avec le Holy Grail des Monty Python, c'est mon plus grand souvenir de salle hilare, pliée en deux au moment crucial. Blake Edwards a souvent joué avec l'inconvenant traité avec classe, et ici il atteint un sommet.

3) Les Dieux sont tombés sur la tête / Gods must be crazy (Jamie Uys, 1980) : ce film botswanien, dans lequel un membre de la tribu des San découvre une bouteille de Coca-Cola a la réputation d'être raciste et paternaliste ; je ne trouve pas. Jamie Uys, qui tournait en muet avec une caméra à vitesse variable, a un sens extraordinaire du tempo, du ralenti et de l'accéléré ; la scène où le héros vient chercher en jeep une jeune institutrice en voiture, et où il se débat avec des portails et avec les pentes sur les chemins de terre, est un grand moment de burlesque. Même les animaux, éléphants, rhinocéros et hippopotames y font rire dans leur façon de traverser l'écran ou de "regarder" la caméra.

4) Y a-t-il un pilote dans l'avion / Airplane (Zucker, Abrahams et Zucker, 1980) : un de mes préférés, entre autres parce que j'aime les films qui se déroulement principalement dans un moyen de transport en commun : bus, train, bateau, avion... et véhicule spatial, nous rappelant qu'une salle de cinéma est également un lieu de "transport en commun". Bien sûr, on ne pourrait plus faire Airplane, et plaisanter sur la pédophilie du commandant de bord et sur les catastrophes aériennes. Le film a extrêmement bien survécu aux succès très datés de tout ce qu'il parodiait, et notamment à Airport. Ce fut aussi la révélation en acteur comique de Leslie Nielsen, futur Frank Drebin quelques années plus tard.

5) L'Impossible Monsieur Bébé / Bringing up Baby (Howard Hawks, 1938), découvert dans une salle en joie du réseau parisien de salles Action (je rends hommage ici à ces bienfaiteurs qu'ont été ses créateurs Causse et Rodon, même s'ils se sont ensuite brouillés). J'ai vu le Hawks dans toutes sortes de conditions - y compris colorisé par Turner sur une chaîne de télévision grand public, et c'est une comédie parfaite, énormément imitée. Le couple Cary Grant et Katharine Hepburn est exceptionnel. Je crois me souvenir qu'il y a très peu de musique, en tout cas non diégétique, et que la chanson I Can't Give You Anything but Love, Baby, y joue un rôle central.

6) Le Père Noël est une ordure, 1982 : pour moi le film français le plus drôle de tous les temps. Il repose beaucoup, je crois, sur la réussite du couple Bon Chic Bon Genre joué par Thierry Lhermitte et Anémone : celle-ci est une actrice mal exploitée. Avec une direction d'acteurs plus ferme (Bohringer, censé jouer le rôle d'un dur, est un peu trop brave type), et un peu moins de mièvrerie, Le Grand chemin, de Jean-Loup Hubert, grand succès en salle de l'année 1987, aurait pu être grâce à elle un beau mélodrame à l'italienne.

7) Un film avec W.C. Fields : je pourrais en prendre beaucoup, mais, parce que je l'ai vu en salle avec des amis chers et que nous en avons partagé la joie, je choisis Les Joies de la famille (The Man on the flying trapeze, 1935, Clyde Bruckman). Dans les années 70, des distributeurs français courageux ont sorti des Fields des années 30-40, et curieusement cela n'a jamais marché, sauf sur quelques-uns dont je fais partie. On trouve quelques-unes de ses meilleures séquences sur le Net : celle géniale d'It's a Gift, où le pauvre homme tente vainement de dormir sur son balcon, est beaucoup regardée sur YouTube.

8) Young Frankenstein (Mel Brooks, 1974) : belle, drôle et poétique avec le superbe noir-et-blanc de Gerald Hirschfeld, c'est la meilleure des inégales parodies de films qu'a signées ce merveilleux personnage qu'est Brooks (on lui doit entre autres d'après pressenti le génie émotionnel de David Lynch, et de lui avoir proposé de réaliser Elephant Man après Eraserhead). Gene Wilder est remarquable en héritier du Baron, et Marty Feldman dans le rôle du serviteur, avec ses roulements d'yeux protubérants (voir ci-dessous), et sa bosse qui change d'épaule selon les scènes, magnifique.

9) The Navigator (Buster Keaton et Donald Crisp, 1924) : je ne l'ai pas revu depuis longtemps, mais me rappelle une joyeuse séance dans la grande salle de la Cinémathèque du Palais de Chaillot. Conformément à la doctrine d'Henri Langlois à cette époque, les films muets n'étaient accompagnés d'aucune musique, de sorte que les rires de la salle constituaient le son unique. J'aurais aimé les enregistrer.

10) Playtime (Jacques Tati, 1967) : le film le plus poétique du monde et un des plus beaux. Un des plus drôles ? Certes, oui, dans le morceau de bravoure de l'inauguration du Royal Garden, auquel Blake Edwards rend un hommage émouvant dans The Party. En même temps, la première et languissante partie est cruciale dans la construction de l'ensemble.

Ce qui est absent de ma liste - d'où l'intérêt d'en faire un- me surprend et m'intéresse : Louis de Funès, un phénomène et sans doute un génie, qui ne me fait pas rire ; Billy Wilder (je préfère ses films noirs, comme Double Indemnity ou Sunset Boulevard) ; Chaplin le dieu (mais il est celui qui me fait pleurer). Mais aussi les Marx Brothers, tiens oui mais pourquoi ? Je ne sais pas, mais j'ai perdu le contact avec leur humour.