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ENTRE DEUX IMAGES n°52

19 février 2017

SPÉCIAL DISTANCES, COUPURES ET DÉCOUPURES

Reichardt / Gladstone / Stewart / Coen / Dern / Lynch / Bogdanovitch / Cher / Williams / Ryder / Singer / Reus / Racine / Homère / Flacelière / Bérard / Catulle / Hugo / Debussy / Lacroix / Mitterrand / Séguéla / Fillon / Bonitzer / Assayas / Fellini / Debord

FEMMES SEPARÉES LES UNES DES AUTRES

Vous voyez ici l'un des quatre personnages féminins du dernier film de Kelly Reichardt Certain Women, montré en avant-première des Inrockuptibles, avant sa sortie en salle le 22 février. Ici, Jamie (Lily Gladstone) dit seulement à Beth (Kristen Stewart), qui lui plaît, qu'elle est venue de loin pour la voir, et il y a dans cette scène une timidité et un sentiment de la distance entre les êtres - je dis bien de la distance, et non de la différence - qui me touche beaucoup. C'est un beau film lent, certains le trouvent ennuyeux, moi pas. Il faut juste se mettre à son rythme, et s'installer avec les personnages dans cette petite ville du Montana et ses alentours, et suivre ce qui arrive. J'aime ces films qui campent dans un coin des USA, sauf lorsque l'auteur me semble avoir sur ces milieux un regard condescendant et "patronizing", comme on dit en anglais, sentiment que j'éprouve avec les frères Coen dans leur adaptation en 2007 du No Country for Old Men de Cormac McCarthy, et plus anciennement dans leur O' Brother, 2000.

Les quatre femmes du film de Reichardt ne forment pas un groupe, une communauté. Qu'elles aient famille, amant, mari, enfant, ou non, elles sont chacune dans leur solitude. Tout le monde est seul dans ce film d'ailleurs, à un moment ou à un autre. Hommes, femmes, enfants, on se croise, mais il y a des gens qui se comportent entre eux de façon humaine. Parmi eux, Jamie, qui travaille seule dans un ranch et s'occupe de chevaux, en compagnie d'un petit chien qui trotte derrière elle. La façon dont elle se rend religieusement à un cours du soir ouvert aux adultes dont le sujet est le droit scolaire et se met au dernier rang, cela non pour le contenu mais juste pour voir Beth, l'enseignante, et prolonger ensuite le temps avec elle avant de rentrer dans son ranch où elle vit seule, est poignante. Notamment dans la scène où elle vient à cheval, et offre à Beth interloquée de faire une tranquille promenade sur sa monture avec elle : un moment de fragile bonheur, éternel. Il y a aussi cet homme qui a fait le mauvais choix pour son contrat d'assurance, et que la loi ne remboursera pas pour l'accident du travail qui l'a rendu inapte. Il ne veut pas comprendre, est obsédé par l'injustice qui lui est faite, et "pète les plombs" avec une prise d'otages sans issue. Son avocate (Laura Dern) en a parfois assez de lui, mais elle ira le visiter en prison, juste pour le voir, entre êtres humains.

Laura Dern, toujours vivante et lumineuse. Un des coups de génie de Lynch a été de voir en elle non seulement la Sandy Williams gentille et illuminée de Blue Velvet, contrepoids de la "sulfureuse" Dorothy, mais aussi la Lula folle de son corps de Sailor et Lula, lui permettant ainsi d'échapper au registre des jeunes femmes convenables et réservées où son physique, à l'époque, pouvait encore la confiner. Je l'avais aimée en jeune aveugle dans le mélodrame de Peter Bogdanovitch, Mask, 1985, avec Cher, mais on pouvait se demander si elle n'était pas vouée à ces rôles. Évidemment, pour moi, INLAND EMPIRE, de Lynch, est un grand film, et Laura Dern y est exceptionnelle.

Comme j'ai été ému par le jeu de Lily Gladstone, déjà reconnue par des distinctions pour des seconds rôles, j'espère que dans le réel diégétique du film de Reichardt son personnage va trouver le bonheur, et que dans le réel profilmique, Gladstone rencontrera un ou une David Lynch pour la mettre en avant, dans des rôles de premier plan. Peut-être dans le prochain Kelly Reichardt.

Du coup, j'emprunte à Vidéosphère un film de 2008 de la même réalisatrice, où joue déjà Michelle Williams, Wendy et Lucy. En fait, Lucy est la chienne d'une routarde nommée Wendy. Il est encore question de solitude et de gens dans un coin discret, et c'est beau. Lucy et Wendy sont d'abord ensemble, ensuite elles sont séparées (je ne raconte pas la fin), mais l'humaine reste l'humaine et la chienne reste une chienne.

UNE COUPURE ENTRE HOMME ET ANIMAUX ?

Depuis quelque temps, je suis avec un certain intérêt le débat sur la différence homme/animal, et la montée (encore discrète) des mouvements dits anti-spécistes. Il s'agirait pour eux, sous le nom de "spécisme", de qualifier péjorativement notre comportement par rapport aux (autres) animaux comme étant analogue au racisme et au sexisme. Je ne suis pas d'accord avec une telle assimilation.

Le terme anglais original est "speciesism", et aurait été inventé par le biologiste Richard D. Ryder puis popularisé par Peter Singer dans son essai de 1975 Animal Liberation. Mais pour moi, il ne suffit pas de dire que "l'homme est un animal comme les autres", alors que la notion même d'animal est anthropocentriste par définition. Le plus anti-spéciste des anti-spécistes continuera de faire une différence entre un chien, une mouche, et les bactéries qui peuplent ses propres intestins. Ce discours ne fait que déplacer le problème, et se contente de dire : la coupure que vous faites ne se situe pas là (c'est à dire entre l'homme et les autres espèces), mais ailleurs. Où çà ? Peu importe. Mais si on ne dit pas où elle se situe et si on ne concède pas qu'on est tout de même obligé d'en faire une entre certaines espèces et d'autres, on est dans la mauvaise foi, donc dans l'obscurantisme.

En ce qui me concerne, je mange beaucoup de poisson et un peu de viande. Ce qui ne me laisse pas indifférent, en revanche, chez les "bêtes", même les plus petites, c'est la question de la douleur.

UNE COUPURE ENTRE ANIMAUX SENSIBLES ET ANIMAUX INSENSIBLES ?

Je viens d'entendre à la radio un militant de l'association L214, qui a filmé en France des scènes d'abattages horribles. Cet homme me semble parler raisonnablement des situations qu'il divulgue, car il considère aussi les difficultés des hommes qui travaillent dans les abattoirs industriels. Je vais donc sur le site de L214, et lis ceci, sous le titre "vers une civilisation sensibiliste" :

"Ce nom un peu mystérieux fait référence à l'article L214 du code rural : en 1976, les animaux y sont pour la première fois désignés en tant qu'êtres sensibles.

Art L214-1 : «Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce
L214 s'inscrit dans un mouvement qui souhaite une société attentive aux besoins de tous les êtres sensibles à l'opposé des courants prônant discrimination, haine ou xénophobie.
L214 souhaite que notre société en arrive à reconnaître que les animaux ne sont pas des biens à notre disposition, et ne permette plus qu’ils soient utilisés comme tels. Ils sont eux aussi des habitants de cette planète et leurs intérêts méritent considération."

Je ne connaissais pas l'existence d'un code rural ; on peut en trouver le contenu, dont l'article en question, sur le site de legifrance.gouv.fr , où je suis allé, pour constater que la citation qu'en fait l'association qui s'en réclame est fidèle. Il n'y a pas de virgule dans l'article L214-1 ni après "animal", ni après "sensible", pas de scansion ni de coupure. Et c'est bien là le problème.

Écrivez en effet à la place : "Tout animal, étant un être sensible, doit être placé, etc.", et il est clair que tous les êtres vivants classés comme "animaux" sont impliqués. On n'en sort pas. Mais si on veut dire que seuls les animaux considérés comme sensibles sont concernés, ce n'est pas simple non plus. L'article L214-1 est en fait une phrase ambiguë. Faut-il qu'elle cesse de l'être ? Je ne sais pas.

Jusqu'où va l'animal sensible, cela inclut-il les vers et les fourmis ? Cela me hante quand je vois des mouches qu'on a enfermées chez soi en été, et qui s'épuisent à remonter la vitre. Je les ai d'ailleurs filmées dans des images qu'utilise ma Troisième symphonie, où il est question de la vie à toutes les échelles, y compris celle des mouches. Mais s'il fallait toutes les sortir de leur enfer de Sisyphe, on ne pourrait pas vivre. Ont-elles mal, en tout cas ?

Dans les Cahiers anti-spécistes n° 23, que je vais consulter sur Internet, je trouve un article signé Estiva Reus, qui elle-même cite des travaux de différents chercheurs, et j'y trouve, comme réponse à mes inquiétudes, des observations publiées en 1984 dans une revue scientifique sous le titre « Do insects feel pain ? – A biological view ».

"- Un criquet continue à manger pendant qu'il se fait dévorer par une mante religieuse.
- Une mouche tsé-tsé s'envole pour aller se nourrir alors qu'elle est à moitié disséquée.
- Les mantes religieuses mâles continuent à copuler alors qu'elles sont dévorées par leur partenaire.
- De nombreux insectes poursuivent leurs activités ordinaires alors qu'ils sont dévorés de l'intérieur par de gros parasites.
- Des pucerons continuent à manger pendant qu'eux-mêmes se font manger par des coccinelles."

Néanmoins, l'auteur précise avec prudence que cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de douleur, parce qu'on n'est pas à la place de ces êtres.

HISTOIRE DE VERS, DE VERS RIMES, ET DE VERS BLANCS

Nous contenons bien nous-mêmes des êtres vivants parasites, la plupart du temps microscopiques, d'autres fois plus grands. Vers l'âge de 11-12 ans, j'ai hébergé et nourri quelque temps un ténia, qui avait profité d'une chose que j'avais mangée. Je l'ai compris en voyant de drôles d'anneaux blancs dans mes selles, et le docteur auquel on m'a envoyé m'a prescrit, pour l'expulser, un vermifuge adapté. Le ténia a t-il souffert ? En tout cas, le jour où je l'ai vu sortir de moi, telle une longue nouille blanche, dans les W-C à la turque de la cour de récréation du lycée où j'étais pensionnaire - en espérant qu'il n'était pas coupé au milieu et qu'il était sorti en entier - n'est pas, on s'en doute, un jour que j'ai oublié.

D'autant qu'il s'est associé pour moi à la lecture obsessionnelle que je faisais à la même époque, isolé dans mon coin à l'internat de Creil, de l'intégrale du théâtre de Racine avec ses milliers d'alexandrins. Une lecture compulsivement exhaustive (je ne sautais rien, aucune pièce, aucun vers, même si je ne comprenais pas tout) et qu'il m'arrivait de continuer aux cabinets. On devine que j'y ai réfléchi bien après, pour découvrir qu'il s'y trouve un étrange association signifiante : n'avais-je pas eu un ver solitaire (nom familier du ténia en français) en lisant des vers en solitaire ?

Aurai-je lu d'un bout à l'autre, comme je l'ai fait à dix ans, Homère dans l'édition de la Pléïade (l'Iliade traduite par Robert Flacelière, l'Odyssée par Victor Bérard), si elles n'avaient été faites en "vers blancs" (alexandrins rythmés sans rime, et enchaînés tel de la prose), ce dont je ne me suis aperçu qu'après également ? Je n'en sais rien. Il y a peu de temps que j'ai compris qu'ainsi j'avais fait des repas de régularité, je m'étais nourri de scansion. Cette monotonie, cette fidélité du découpage en douze syllabes, a longtemps été la main courante de mon existence d'enfant, un enfant certes pas du tout abandonné, mais un peu perdu dans l'espace et le temps. Et je comprends maintenant que ces lectures aberrantes pour mon âge étaient une façon de me rétablir dans une temps scandé, pas trop brisé. Temps que maintenant j'exprime, paradoxalement, à travers une musique tantôt très dense, tantôt très étalée, mais rarement régulière de rythme. Une musique où le temps est fixé.

Prochainement, je vais me mettre à l'adaptation musicale d'une longue pièce de Catulle (poète latin, env. 84-54 avant J-C) sur Les Noces de Thétis et de Pélée, écrite en hexamètres dactylique, ce qui était alors l'équivalent de notre alexandrin. On l'entendra en entier, avec sa scansion lancinante et souple, et cela sera long.

CÉSURE DE L'ALEXANDRIN FRANÇAIS

A propos des alexandrins français, on peut rappeler que l'alexandrin classique a été très longtemps coupé en deux hémistiches égaux, et que les premières coupes non égales des douze syllabes (chez Hugo, notamment) ont été en leur temps un événement, dont on se fiche maintenant. Voilà un cas de "où on coupe ?" qui a été très important à son époque et qui ensuite est devenu obsolète, de même que la règle de l'interdiction des quintes parallèles en musique classique, proscrites jusqu'à ce que, soit dans un but archaïsant, soit par souci de libération (dans la musique de Debussy), on se les autorise.

COUPURES GÉNÉRATIONNELLES À L'ANNÉE PRÈS ?

Vous croyez n'avoir rien à faire avec la césure ? Vous vous trompez, car votre temps, votre vie scandés par l'âge, l'âge, l'âge... - plus personne ne vous le laisse oublier - sont cisaillés par des sondages, des clivages, des périodisations mathématiques de votre existence.

Ainsi une plateforme audio-visuelle qui s'appelle Brut revendique avoir la meilleure des audiences dans une tranche créée de toutes pièces, celle entre "15 et 35 ans". Entre 15 et 35 ans ? Pourquoi 35, et que se passe t-il le jour où on en a 36 ? On entre du jour au lendemain dans le déclin ? Mais prendre les nombres d'années par cinq donne une impression de structure branlante. C'est pour fragiliser les êtres humains, pour les segmenter et les rendre dociles à la consommation.

Je vous propose un extrait "brut" de ce que j'ai découpé-collé sur le site des Inrocks, à propos de cette plate-forme :

"Le but de Brut ? Proposer une nouvelle manière d'appréhender l'actualité. Nous voulons offrir aux 15-35 ans - sic ! - les clés nécessaires pour comprendre l’actualité, utiliser les outils des réseaux sociaux pour raconter notre société de manière didactique. Notre chaîne est l’agrégat de plein de petits médias personnels, constituant une communauté d’esprits - re-sic ! - associés autour d’une même conduite", explique Guillaume Lacroix.

Dans d'autres textes, il est aussi question des Millenials (voir Wikipedia), de la génération Y (même renvoi), etc., bref de ces découpages générationnels visant à créer des niches, des publics, des identifications, cela toujours dans un but commercial ou de propagande. Bien qu'ayant voté en 1988 pour François Mitterrand, j'ai détesté la campagne "Génération Mitterrand", et ces affiches où l'image d'un bébé apparaissait à travers les creux créés par le dessin des lettres du nom du Président. Jacques Séguéla, qui aurait eu cette idée, en était fier, bien que ç'ait été traiter les électeurs comme des imbéciles.

COUPURES DÉCENNALES OU QUINQUENNALES ?

Je m'explique sur ce que m'inspire la tranche 15-35 ans, découpant une imaginaire identité générationnelle. Quand l'être humain accède à un âge à deux chiffres, en d'autres termes quand il a 10 ans au lieu de 9 1/2, il éprouve logiquement un sentiment de promotion. Par la suite quand il en aura vingt, trente, quarante, etc., il ressentira à la fois le sentiment de vieillir, de grandir, mais selon une loi de la nature (bien que le système décimal soit une spécificité culturelle mondialisée, pas plus fondée dans la nature que le système duodécimal pour découper années, jours, et minutes). Cette coupure que constitue la décennie est un acquis culturel universalisé. Si en revanche, un sondage, une loi situent la coupure au milieu d'une décennie d'âge, cela crée un sentiment de fragilité. La décennie est minée par une hémi-décennie.

L'âge légal de la retraite, ce n'est donc pas une plaisanterie, ou un point d'honneur absurde. Je comprends ceux qui se battent pour leur retraite à soixante ans, même si je continue à travailler dans des conditions plus qu'agréables bien qu'étant né en 1947, tout en bénéficiant de quelques petites retraites (je n'ai jamais eu d'emploi à plein temps) additionnées depuis que j'en ai 65.

COUPURE MINEUR(E)/MAJEUR(E) ?

On sait que François Fillon, pour retrouver des voix dans son électorat, vient de reprendre une idée de Sarkozy - idée funeste même si elle paraît à beaucoup de bon sens - , celle d'abaisser à 16 ans l'âge de la responsabilité pénale, alors qu'actuellement, en France, la majorité civile se situe à 18 ans. Cela depuis 1974, sous le gouvernement de Giscard, grâce à une de ces nombreuses lois de modernisation qui ont suivi mai 1968. Auparavant, pour moi par exemple, c'était 21 ans. Dans tous les cas, passer du statut de mineur à celui de majeur n'est jamais une mince affaire. Comme me le disait un ethnologue africain rencontré au Wiko de Berlin, le problème de certaines de nos sociétés, c'est qu'il n'y a pas pour cela de rite de passage, juste une promotion mécanique et déshumanisée.

Le 16 janvier 1968 a donc été une date pour le Français que je suis : la veille, j'étais mineur, et ce jour-là, sans avoir rien à faire, j'étais devenu majeur. Mon père marqua le coup en m'aidant à ouvrir mon premier compte-chèque dans une agence du CIC de la Chaussée d'Antin.

COUPURE DE GÉNÉRATIONS AU CINÉMA ?

Je viens d'écrire pour Bref un gros article sur les longs-métrages en un plan tournés sans coupures, et leur mystérieux enjeu (car nous nous ne voyons ni ne regardons jamais en continu), ce qui m'a donné l'occasion de repenser à la formule de Pascal Bonitzer, quand il dit que "toutes les querelles théoriques du cinéma se résument à la question : où faire passer la coupure ? Entre quels plans ? Entre quelles parties du corps ? du décor ? du ruban filmique ?" (Le Champ aveugle, 1982). Ce n'est sans doute pas un hasard si Bonitzer a réalisé en 2001 un film intitulé Petites coupures.

À propos de ce cinéaste et ami, que j'ai connu aux Cahiers du Cinéma où il avait déjà écrit, avant que je n'y entre, des textes marquants, j'ai une histoire à raconter : celle de l'article qu'il écrivit en faveur du nouveau Fellini E la nave va, pour répondre à un pamphlet d'Olivier Assayas, lequel s'était attaqué au cinéaste dans le style "je vais vous déboulonner votre idole, vous allez voir". Pour être précis, Olivier venait de publier sur Et vogue le navire un article virulent sans ... coupure dans les Cahiers, et Bonitzer donna sa réaction et sa réponse, sans coupure non plus, dans le numéro suivant de la même revue. Rien à dire, c'est bénéfice pour tout le monde, et Fellini - que j'adore - n'est pas une vache sacrée. Seulement, Assayas s'est permis plus tard, dans un entretien-préface à un recueil où il reproduit son pamphlet, de raconter en termes sarcastiques le conseil de rédaction (où j'étais présent, et dont je me souviens très bien), dans lequel Pascal lui avait exprimé son désaccord. Pas du tout dans le style d'un Grand Ancien sermonnant le "jeune Turc", encore moins sur le ton de la fureur outragée - ce qu'Assayas prétend - mais simplement sur le ton de quelqu'un qui défend ce qu'il aime. Olivier n'a su voir dans le contre-article de Bonitzer que de la rivalité générationnelle, et c'est dommage. L'obsession de la coupure générationnelle est d'ailleurs une chose qui m'a plusieurs fois gêné dans ses écrits et ses films, ceux par ailleurs d'un gentil garçon (c'est son problème d'artiste, d'ailleurs, de ne pas faire des films plus âpres, tout en se réclamant du Rock et de Guy Debord). Concernant Pascal Bonitzer, en tout cas, Assayas a été aveugle à l'important : les gens qui font ou qui défendent ce qu'ils aiment n'ont pas d'âge.